Cosmétique du chaos

• Le mood :

Si vous vous interrogez encore sur l’exploitation de vos données, sur les photos que vous partagez sur les réseaux, sur notre monde de surveillance de plus en plus invasive, sur la désincarnation de ce qui signifiait encore hier humain, aide, liberté. Si vous aimez la langue, la poésie, alors lisez ce livre.


• L’histoire :

« Tu demeures embourbée dans la vision de ta face saccagée hantant le verre réfléchissant. Dans un geste de commisération convenu, l’infirmière te prend par la main et te guide vers la sortie. »

S’il n’y avait qu’un livre à lire en Janvier ce serait lui.
Chef d’oeuvre du verbe, du vertige de notre humanité, de la poésie dystopique, de l’horreur du nouveau visage du monde.

Que ce soit sur nos écrans ou dans la vie, le visage est au centre.
Selfie, filtre, smileys, transformation, le visage questionne nos identités à travers nos nouveaux usages, la manière dont on le partage… Une surexploitation de nos visages et de nos datas nous emmènent, je le crois, vers les pires dérives.
Ce roman sombre nous brosse l’épouvantable portrait de notre humanité par sa désincarnation. Par la privation de liberté. D’anonymat.

« Tandis que tu ouvres la porte, tu te souviens avec effroi que le hall est tapissé d’une immense glace murale, t’interdisant ainsi le confort de l’invisibilité. »

Dès les premiers mots, je suis Hasna, aveuglément.

« (…)quelque chose qui enfle, se ramifie, chiendent aux radicules jaillissant de toutes part, étamines en jouvence se pétrifiant peu à peu en densités morbides.»

Elle sort d’un hôpital de chirurgie esthétique.
Le visage refait. Tuméfié.
Ce sentiment de repartir avec un poids
Là où on lui a enlevé sa matière.
Le visage en tumeur.
Un morceau.

Opération payée par Pôle Emploi,
Seule condition pour le maintien de ses droits aux aides,
Seul espoir pour être réinsérée sur le marché du travail.

« (…)tous ces défigurés, bêtes de foire abandonnées dans le civil, avec obligation d’afficher leur tête monstrueuse sur leur carte d’invalidité. »

Je marche avec elle,
Dans un décor que j’ai fuis il y a 2 ans.
Palais de tours et de buildings.
Paysage déjà mort.
Nature envolée.

Ses yeux ne voient plus que trous béants et asticots.
Chaos.
Hasna ne discerne cerne plus aucun visage.

Je pense à Casse-Gueule de Clarisse Gorokhoff.
Je pense à la Charogne de Baudelaire.

« Tes yeux transformés en fusil de chasse, nuages de plomb s’incrustant dans les chairs, tu discernes une tempête de sable dans chaque sourire, les faciès explosant, tu n’as même pas le temps de les identifier, tronches de viande hachée condensée lucioles intempestives (…) »

Autour : des visages déchiquetés
Mirages amusant.
Amusée.

Une société qui régit l’existence par le contrôle des corps et des esprits.
Hasna doit faire figurer son visage partout sur le web, les réseaux.
Ne pas y être c’est être soupçonné de complot.
Si elle refuse c’est l’enfermement.
La fin des indemnités.
Surveillance et régence.

« L’abîme de ses césures lumineuses rédime ton regard, tu vertiges dans sa peau vaseuse, te pores dans ses lignes inchoatives. »


• L’extrait :

« Le visage est la clé de ton existence et tu le sais. (…) C’est ainsi que tu trouveras ta place dans la société, et aussi, un job. »


• Mon avis :

Si l’on mesure l’état d’une société aux thèmes de sa littérature, alors nous sommes en plein cauchemar.
Mes dernières lectures regorgent de dystopies.
Des réponses lancées comme une onde à la surface de l’eau : la désobéissance, le chaos, les mots, les actes invisibles, les sociétés recréées.

Il n’y a peut-être aucun salut pour ce que nous sommes en train de nous infliger.
Mais alors, je veux le croire encore, il restera les lettres.
Les mots que les écrivains auront criés.

Espedite réinvente la langue, les verbes.
Fait avancer son lecteur les yeux bandés dans un univers où les murs sont les moins tristes des prisons.

Un coup de coeur absolument immense pour moi.
Courez chez votre libraire le plus proche !


• L’auteur :

Camille Espedite

 

Camille-Espedite

*Né en banlieue parisienne, Espedite, de son vrai nom Nicolas Tainturier, travaille en Corse depuis dix ans, au sein d’une administration. Il trompe son ennui de fonctionnaire docile en composant des textes sombres et absurdes peuplés d’improbables révolutions.

Il est auteur de « Palabres » (Attila, 2011), son premier roman, publié sous le pseudonyme d’Urbano Moacir Espedite en collaboration avec Bérengère Cournut (1979) (ils apparaissent en page de couverture comme « traducteurs du portugnol »).

Urbano Moacir Espedite est le pseudonyme collectif sous lequel Nicolas Tainturier (1978) alias Espedite et Bérengère Cournut (1979) ont publié « Palabres » (Attila, 2011).

*Source : Babelio


• Références :

  • Cosmétique du chaos
  • Auteur : Espedite
  • Maison d’édition : Actes Sud
  • Date de publication : 05.02.2020

2 commentaires sur “Cosmétique du chaos

    1. Oooh mille mercis pour de beau et encourageant message 🤗 Il n’y a rien qui ne me rend plus heureuse que de savoir que j’ai réussi à faire lire quelque chose vers lequel on ne serait pas allé de prime abord. C’est dur en littérature de sortir de sa zone de confort 🤓
      Belle journée à toi aussi 😘

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