Suiza

• Le mood :

COUP DE COEUR
Une histoire d’amour, animale, qui a l’épaisseur des grands romans.
De ceux qui resteront dans l’histoire de la littérature.


• L’histoire :

Tomas a le corps lourd,
Une carrure de taureau.
Agriculteur sur ses terres de Galice,
Veuf d’une femme qu’il a à peine connu et surtout négligé,
Il veut démentir ce que l’on dira sur lui.
La violence qui coulerait dans ses veines, de ses gênes.
Ce n’est pas la véritable histoire.

De son petit village il se rend à la grande ville, Lugo.
Un cancer Monsieur qu’ils lui disent.
La seule chose à laquelle il pense alors, c’est sa ferme.

« Effaré, je regardais les passants, les quelques voitures qui roulaient, cette agitation du matin. Cette vie dont, tout à coup, je ne faisais plus partie. Tous ces gens qui ne savaient pas que j’allais crever, sûrement dans d’atroces souffrances. J’avais envie de hurler. »

Le soir en rentrant, il raconte au vieux Rámon, son ouvrier,
Que ce n’est rien. Juste une pleurésie.
Quinze agglos de pudeur entre le vieux et lui.
Il ne saurait pas expliquer de toute façon
De ce que lui ont dit les médecins, il n’a rien compris.

« Je haïssais les cheveux blancs, les bouches édentées, les silhouettes déformées par l’arthrite, parce que je savais que je n’y airais pas droit. Ces vieux vivaient, alors que j’allais mourir, à quarante ans à peine. »

Heureusement il y a le bar d’Alvaro,
Le joyeux rendez-vous des poivrots.
Ivre de la peur de mourir,
Son souffle est coupé par une femme.
Retrouvée crasseuse dans la cabane d’un poulailler,
Ils l’appellent Suiza car elle viendrait de Suisse.
Échappée d’un foyer, elle voulait simplement voir la mer.
Alvaro l’exploite et lui prend son corps.
Elle est totalement idiote qu’il dit.

« Elle était un peu penchée en avant, je devinais la naissance de ses seins blancs et un peu lourds, la peau fragile et lactée qui se cachait sous le tissu de la robe légère. Ses cheveux blond-roux, en boucles molles et rares, envahissaient son visage.
Elle avait de grands yeux vides de chien un peu con, mais ce qui les sauvait c’est qu’ils étaient bleu azur, les jours d’été. »

Une ville frappée par la pauvreté depuis toujours et la crise qui n’arrangeait rien.
Chaque chose est économisée.
Même le moindre sentiment.

« Le plus frappant était qu’habitués à nous priver, et ne pouvant le faire davantage, nous étions devenus économes jusque dans nos sentiments, nos rapports aux autres. »

On ne lui a pas appris l’amour à Tómas.
À part les putes et l’alcool,
Il ne sait pas.

« À nouveau, j’étais comme un dingue. Un prédateur. J’avais envie de la mordre, là où les veines battent, et de ne lâcher don cou que lorsqu’elle aurait fini de se débattre. Me revenait en mémoire une scène similaire de renard étouffant une caille, la froideur scintillante de ses yeux patients et déterminés. »

Mais il sait une chose.
Il veut Suiza, la pénétrer, la violer, la voler, la violenter, la posséder.
Il lui prend la main et l’emporte.
Suiza suit.
Hébêtée mais heureuse, même dans cette maison sale.
Elle veut qu’il la garde.
Alors elle observe, chaque geste, désir, chaque expression des habitants.
Lui offre ses seins, ses fesses…

« J’ai juré comme un damné, essayé d’oublier la pureté de sa peau, et j’ai éjaculé en un long sanglot de rage et de jouissance.
J’aurais voulu que ça dure toujours. »

Contenir la violence du désir.
La sienne mais celle de tous ces hommes qui veulent Suiza plus que tout.
Ils la disaient idiote, un peu conne
Mais ça les arrangeait plus que ce n’était vrai.
Un petit animal apeuré.
Se laissant faire pour éviter la moindre violence.
Demandant à être gardée et débordant d’amour pour celui qui l’a vue pour la première fois.
Une bouffée d’amour.

« C’est cela que j’ai compris, soudain : ses cheveux, ce n’était pas du renard, c’était du soleil couchant sur la mer. »

Auprès de lui Suiza se révèle,
Son chant cristallin déglace Tómas qui profite de sa nouvelle femme comme d’une nouvelle terre.

Suiza peint.
Des peintures qui disent la profondeur de ceux qui ne la voit pas.
La délicatesse des jours qui s’écoulent comme autant de joyaux.
Des kilos de bonbons, de gnomes et de boîtes. Rien ne sera trop beau.
Tout doit la faire sourire.

« C’est pas souvent, mais des fois, quand tu mélanges bien deux malheurs, ça monte en crème de bonheur. »

Si les coeurs semblaient froids et les secrets tenaces,
Depuis l’arrivée de Suiza au village la douceur éclot dans chaque regard.
Si les langues sont différentes, les secrets de femmes se ressemblent…


• L’extrait :

« Les deux femmes n’avaient pas échangé un mot, tout avait été dit dans le regard, les mains. Le langage des femmes qui n’ont rien, sauf l’amour. »


• Mon avis :

Un véritable coup de coeur !
Une chose est sûre, pour un premier roman, Bénédicte Belpois sait dire l’amour, la violence, l’animalité des sentiments, la pudeur des amours contenus, la beauté cachée des êtres et la simplicité comme nature la plus pure.

Un roman d’une épaisseur intense et terriblement charnel.
Tant dans le style que dans la chaleur qu’il propage par la moiteur des corps chauffés de soleil galicien.
L’amour sans les mots. La métamorphose des hommes grâce à la bonté d’une seule qui leur rappelle que les rêves ne sont jamais loin.


• L’auteure :

Bénédicte Belpois

benedicteBelpois

*Bénédicte Belpois vit à Besançon où elle exerce la profession de sage-femme.
Elle a passé son enfance en Algérie.
C’est lors d’un long séjour en Espagne qu’elle a commencé à écrire « Suiza » (2019), son premier roman.

(*Source : Babelio)


• Références :

  • Suiza
  • Auteur : Bénédicte Belpois
  • Maison d’édition : Éditions Gallimard
  • Date de publication : 07.02.2019

2 commentaires sur “Suiza

  1. Chère Loupbouquin,
    Quelle belle critique ! Moi aussi, je suis tombée sous le charme de ce livre que j’ai trouvé… Charnel, oui! Une épaisseur, comme vous dites. Je reste encore sous l’effet de cette lecture, je lis les critiques, je cherche à en savoir un peu plus sur cette auteure dont je me sens proche, à l’extrême. Même sensibilité, même humour, même inquiétude sans doute. Merci d’écrire tout haut, ce que j’ai pensé tout bas. Je lis, mais je ne sais pas écrire. Merci à vous, aux éditions Gallimard, à Bénédicte Belpois!

    Aimé par 1 personne

    1. Oh Louise, comme il est beau votre message…
      Vous écrivez pourtant très bien je trouve.
      Mais je comprends aussi, parfois la lecture est si forte que les mots ne viennent pas.
      Et ce texte est très complexe à décrire. Sans l’avoir lu on pourrait croire à quelque chose de violent, de dur, alors qu’une fois plongé avec tous ces personnages, on les aime chacun pour ce qu’ils sont, on est emporté par la rudesse qui peut aussi fondre grâce à cette Suiza qui les touche un par un sans même le vouloir.
      C’est beau, c’est comme un souffle d’espoir.
      Merci à vous encore pour votre message 🙏🏻

      J’aime

Laisser un commentaire