La fille de l’espagnole

• Le mood :

Un roman virtuose politique, sauvage, une langue crue, tendue et poétique qui vous emporte dans la tragédie d’un pays qui ne l’est plus. Le Venezuela.


• L’histoire :

« En rédigeant l’inscription pour sa tombe, j’ai compris que la mort commence dans le langage, dans cet acte d’arracher les êtres au présent pour les ancrer dans le passé (…) »

Un roman qui ne dit pas seulement l’arrachement ou la mort.
Un roman qui crie l’absurdité de deux camps en guerre,
Où les victimes peuvent devenir les bourreaux.

« Ana et moi nous sommes connues à la faculté de lettres. Depuis lors, nous avons vécu nos enfers respectifs en synchronie. »

Adelaida Falcón enterre sa mère
Lorsque des manifestations meurtrières éclatent à Caracas.
Fiction de la réalité de ce pays coupé en deux.

Les lots de condoléances affluent avec la vilénie.
La mort se profite encore chaude.
Piller, car plus tard il ne restera rien.
Aucune solidarité qui ne soit pas intéressée.
Les denrées manquent.
Le système financier a explosé.
L’argent ne vaut plus rien.

On vole même les morts sous la terre.
Et rester à un enterrement, c’est risqué la terre.
Un ascenseur social en panne depuis des siècles.

Les bandes révolutionnaires mettent à sac les habitations.
Armes au poing.

« La guerre était notre destin, bien avant que nous sachions qu’elle adviendrait. Ma maman a été la première à en avoir l’intuition. Elle en a pris la mesure et a fait ses provisions pendant des années. »

Un pays où la beauté tentait de cacher la laideur d’une dette qui allait se payer plus cher encore.

Le quartier d’Adelaida est pris dans les heurts.
Bombes lacrymo, air vicié.
Après avoir fait la queue pour une miche de pain,
Adelaida se retrouve expulsée de son appartement par un groupe de femmes de la milice.

Elle découvre le corps de sa voisine Aurora Peralta
Dans l’appartement d’à côté.
Nouvel enfer et peut-être la clé de sa liberté.
Adelaida épouille toute la vie d’Aurora.
Photos.
Comptes bancaires.
Codes.

Ne plus faire un seul bruit.
Vivre comme morte.

« On nous décimait. On nous abattait comme des chiens. »

Elle cherche parmi les effluves de mort dans les rues sans arbres
Un soupçon d’enfance qu’on leur a volé à toutes.
Reviennent alors,
Le prunier et ses branches.
Le car et le petit oeuf.
Ce pays où la faim a toujours existé.
La faim m’assaille le ventre en lisant les placards vides.
La viande qu’on ne peut pas cuire si l’on veut survivre.

« Notre vie, maman, a été pleine de femmes qui balayaient pour mettre de l’ordre dans leur solitude. »

Elle raconte cette famille que formait sa mère et elle.
Qui n’a jamais eu d’enfant.
Tremblement mystérieux que la maternité.

« Nous étions petites et veinées, nervurées presque, peut-être pour ne pas souffrir quand on nous arrachait un morceau, voire toutes nos racines. »

Le fumet de bière, l’arôme suave de la canne à sucre venue d’Aragua,
que l’on imagine coller aux lèvres.

« Le chant des pileuses était une musique de femmes. Elles le composaient dans leur silence de mère et de veuves, dans la lenteur de celles qui n’attendent rien, parce qu’elles n’ont rien. »

Les mots déchirants pour sa mère et ce pays que formait leurs deux noms.
Ce pardon. Celui d’avoir peur.
Celui de partir et de voler pour sauver sa vie.

« Presque toujours, ces femmes pilaient deux par deux, et elles bavardaient en rythme. De là sont nées ces chansons qui semblaient confirmer une vérité : la tragédie nous est venue du ciel, comme le soleil et les arbres lourds de fruits sucrés et juteux. »


• L’extrait :

« J’habite la pire des frontières, parce que personne ne réclame la dépouille de ceux qui vivent, comme moi sur l’île des couards. Moi, maman, je ne suis pas courageuse.  »


• Mon avis :

Un coup féroce au coeur que ce livre !
Une écriture tendue, sur le fil de la vie.
Un roman fiction qui dit une implacable vérité et l’édulcore encore.
Car Karina Sainz Borgo nous alerte : la réalité du Vénézuela est bien pire.

Une langue révoltée, d’une poésie qui hurle les silences et l’exil.
Une langue sensorielle : vous marcherez sur la pointe des pieds pour ne pas être découvert.
Vous vous raclerez la gorge des gaz lacrymogène qui pénètrent les fenêtres.
Vous aurez faim. Terriblement faim.
Vous sentirez la chair qui brûle et parfois l’odeur suave de la canne à sucre.
Tremblez, car une écrivaine est née.


• L’auteur :

Karina Sainz Borgo*

 

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Copyright : JULIÁN ROJAS

*Karina Sainz Borgo est une journaliste et auteure.
« La fille de l’Espagnole » (« La hija de la española« , 2019) dont l’action se déroule à Caracas, est son premier roman.
Il a fait sensation lors de la Foire du livre de Francfort en octobre 2018, les éditeurs d’une vingtaine de pays en ayant acquis les droits.
Karina Sainz Borgo vit à Madrid.

*Source : Babelio


• Références :

  • La fille de l’espagnole
  • Auteur : Karina Sainz Borgo
  • Maison d’édition : Gallimard
  • Date de publication : 03.01.2020

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