La Maison

• Le mood :

Voici donc un livre peu commun.
Un livre écrit pour dire ce qu’est la si grande famille des femmes.
Emma Becker est allée sonder leurs coeurs, leurs corps et leurs secrets dans une maison close en Allemagne.
Un livre fin, enlevé, à l’humour décapant et à la poésie qui ne puise que dans le vrai.


• L’histoire :

Une Maison close dont l’auteure nous ouvre les portes.
La Maison.
Ce qu’il reste de cette Maison ;
Un dessus-de-lit et les odeurs qu’il garde tel un secret.

Les vestiges, objets emportés comme autant de talismans sacrés.
Emma étouffe cette pensée,
Qu’avec la présence de ces objets,
La Maison ne fermerait pas.
Quelqu’un la sauverait.

« On peut toujours faire confiance aux enfants pour tourner de force des pages qu’on aimerait garder ouvertes. La séparation commence ici.
Mon livre aussi. »

À la fin de ma lecture,
J’ai eu tout autant de mal à quitter cette Maison.
Ces femmes, que l’auteure m’a fait aimer par leur diversité.

Emma tente de savoir quand cette idée de bordel lui est venue.
Peut-être au départ de Joseph.
Ce prénom imprononçable de douleur.
Ce peut-il qu’un amour désastreux nous pousse aux confins de notre corps ?
Comme pour le ranimer.

« Quand quelqu’un part, c’est comme une mort – dont on ne peut pas se remettre, parce que la pensée que cette personne est bel et bien vivante, pas si loin, ayant décidé de ne plus exister, n’en finit pas de cracher du sel sur les plaies. C’est une mort. »

Emma hurle de solitude,
Pourtant lorsqu’un homme s’approche,
La fuite l’appelle. La rue joue les sirènes d’Ulysse.
Impossible de résister.

Elle se sent mi-homme, mi-femme
Pas tout à fait cette femme entière et sûre d’elle lorsqu’elle marche en talons.
Pas tout à fait cet homme qui abandonne sa dernière baise.

La question de la recherche de notre identité au travers du sexe m’a toujours intéressée.
Ce que l’on cherche à trouver dans le regard de l’autre.
Ce que l’on tente d’éprouver ou d’atteindre dans l’abandon total du corps, des cris.
Cet espace sans limite ni censure est un espace qui me plait.
Parce que régit par aucune règle.
Peut-être notre seul espace de liberté.
Il nous ressemble réellement.
Dit de nous, peut-être bien plus que ce que laisse entrevoir le soleil sur nos peaux nues du jour, désertées par nos nuits.

« Nous sommes complètement ensemble et plus seuls que jamais. »

Seul importe d’écrire cette Maison.
La faire exister encore.
Jusque dans les mémoires de ceux qui l’ignorent.
Ses couloirs baroques
Et cette chambre où trône un lit immense sur lequel les filles montent telle des impératrices sur leur estrade.
Les coussins mort-doré et les draps de satin
Le rideaux rouge séparant deux mondes.

« (…) et où va l’âme des lieux qui ont été si violemment habités. »

Cet émouvant ballet de femmes courbant l’échine,
Répétant les figures apprises,
Ronronnantes et huilées
Nues et impudiques.

Emma est captivée, son regard caresse chaque parcelle de peau de ses acolytes.
Elle écoute les cris de chacune tentant de percer leur secret.
Celui des hommes et de ce qu’ils aiment.

« (…) Victoria me fait l’effet d’une sorcière chevauchant un cygne blanc à la tombée d’une nuit où le diable rend visite au monde des mortels. »

Comment réapprendre au corps à sentir ?
Ce jeu d’actrice ne devient-il pas le plus grand des mensonges ?
Ces mondes qui ne se croisent pas ni ne se regardent.
Il y a l’intérieur de la Maison et celle que l’on est à l’extérieur

Lotte, Gina, …

Le mépris qu’inspirent ces hommes tombés amoureux d’une femme qu’ils paient.

Certaines ne deviennent plus qu’un casier fermé.
Disparaissent pour toujours,
Sur l’écho d’un « à demain ».

Quels sont les désirs de ces femmes hors de la Maison ?
Leur confiance qui s’étiole hors les murs.
Savent elles encore faire ?
À force de s’offrir sans efforts. Sans désir.

« Les premiers jours j’avais sorti le grand jeu et mis du rouge à lèvres très vif ; ce que je ne fais jamais parce que ma bouche alors me semble toute maladroite, handicapée (…) »

La journaliste cherche les confidences
La sensualité du sexe et ses affects.

« Ce sont les filles qui me retiennent ici, leur histoire. Je reste accrochée à l’envie de les déchiffrer, notamment Michelle et Nicola, les deux soeurs. Où pourrais-je donc bien rencontrer deux soeurs dans un bordel (…) »

Dans un autre bordel,
elle ne trouve que des filles blasées au corps qui répond de loin

« Les français au bordel, pour moi, c’est comme une épidémie de gastro.(…) Il faudrait en discuter avec eux, mais les Français au bordel comme ailleurs, ont rarement le don des langues. »

Puis il y a les rires qui nous échappe pendant notre lecture.
« Le gros lard », ce Français voulant apprendre le cunnilingus.
L’infamie et la répugnance qu’il inspire tout autant que nos gloussements.

« J’étais prise dans une gangue de désespoir quand je t’ai vu introduire ton index dans ta bouche avant de me l’introduire à moi, comme on prend la température d’un cadavre. »

Puis il y a Birgit.
Un peu la mère de cette Maison.
Une mère pleine de silences et de chagrins contenus dans un sourire qui s’éloigne quand on le regarde de trop près.

« Il y a une vérité dans la pute, dans sa fonction, dans cette tentative vaine de transformer un être humain en commodité, qui contient les paramètres les plus essentiels de cette humanité. »

Une ode à ses femmes et à ces instants où elles les croise dans la rue.
Leur vie normale, cheveux lâchés et regards non fardés.

« J’ai toujours cru que j’écrivais sur les hommes. Je ne peux relire mes livres sans m’apercevoir que je n’ai jamais écrit que sur les femmes. »

Ce livre c’est ça.
Chercher à percer le secret de la féminité,
De toutes les féminités.
De ces sexes plein de désir,
De ceux qui soupirent à l’idée de s’offrir,
De ceux qui mentent en un long cri,
Des esseulés, solitaires malgré eux…
De la caricature vivante que peut être la pute.
L’image grossie au microscope de l’idée que se font les hommes des femmes.
La nudité résumée en un sexe qui ouvre un monde de plusieurs lèvres qui les avalent.
Et nous quelle idée nous faisons-nous ?
Quelle image ?
Derrière quels vices courrons-nous la nuit lorsque personne ne regarde ?

C’est l’histoire d’une Maison
Où l’on peut marcher sans talons.
Où les putes sont des femmes.
Dans leurs désirs, dans leur non désir
Dans leurs absences.
Une Maison dont on peut sortir sans craindre de représailles.
Une Maison où les filles rient et se tiennent près les unes des autres comme des chats pendant la sieste.

On peut y venir parce que l’on doit se nourrir.
Parce que l’on veut plus de luxe dans sa vie.
Parce que l’on est seule avec un enfant.
Parce qu’on préfère en taire le secret.
Parce que l’on veut savoir.


• L’extrait :

« Même si aucune bite ne ressemble à sa voisine, ce morceau-là est assez uniformément sympathique et conciliant. Et déclenche moins de réactions d’effroi que certains visages. »


• Mon avis :

Un humour décapant, vif, vrai, trash comme j’aime !
La censure m’a toujours ennuyée.
J’aime ce livre d’Emma Becker parce qu’il est entier dans toute sa vérité.
Pudique sur les morceaux de vie non évoqués.
Et rempli d’amour pour toutes ces putes.

À chaque chapitre son morceau de musique.
Je n’ai jamais cessé de sourire à la lecture de ce livre.
Je ne sais pas comment Emma fait ça.
On est parfois entre scènes excitantes et puis on la rejoint dans son mépris de certaines situations mais on finit toujours par en rire avec elle.

Cette auto-dérision en plein bandage, cet humour libre de tout, je l’adore !
Son écriture ne se cherche pas, elle éprouve, elle dit ce qu’elle ressent, ce qu’elle a touché par la peau.
Se pourrait-il que nous toutes appartenions à cette grande famille des femmes ?

 


• L’auteur :

Emma Becker

 

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Copyright : Pascal Ito/ Flammarion

 

 

*Emma Becker est née en 1988 dans les Hauts-de-Seine. Après un baccalauréat littéraire, elle étudie la psychologie à Paris V, avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Sa première publication prend la forme d’une nouvelle érotique parue en 2008 dans la revue Stupre.

En 2011 elle publie Mr (Denoël), un premier roman-confession, une description cruelle de la traversé du fantasme, le désenchantement d’une Lolita contemporaine. Elle y raconte, avec décontraction, ses amours sévères avec ce « vieux » chirurgien de 42 ans.
Ce livre est immédiatement remarqué par la critique et le public, traduit en 14 langues.
Ce premier roman sera suivi d’Alice en 2015 (Denoël).
Alice est une belle jeune fille d’une vingtaine d’années, elle part seule en vacances avec ses deux petites sœurs dans le sud de la France. Elle y retrouve par hasard Emmanuel, un homme de quarante ans qu’elle a rencontré à Paris, qui vient de se séparer de sa femme et passe l’été chez un ami.

Emma Becker vit aujourd’hui à Berlin. Elle vient d’achever son nouveau roman, La Maison, parution mondiale en 2019 (en France chez Flammarion, en Allemagne chez Rowohlt).

*Source : Babelio


• Références :

  • La Maison
  • Auteur : Emma Becker
  • Maison d’édition : Flammarion
  • Date de publication : 21.08.2019

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