À son image

• Le mood :

Un chef-d’œuvre.
Un roman écrit sur une temporalité qui nous fait découvrir le personnage principal après sa mort.
Un livre dont les chapitres sont des titres de photographie.
On y entre comme dans une exposition. Sans bruit.
Un livre qui interroge la foi, l’amour, la possibilité du deuil, du pardon…
Un livre qui interroge notre rapport à l’image, à la photographie.
À la guerre.


• L’histoire :

« Comment rejoint-on la guerre ? »
« Il n’y a rien de plus facile que de rejoindre la guerre. »

Antonia meurt.
Sur une petite route de Calvi.
À trop avoir observé la mort, l’aurait-elle laissé la prendre ?

Elle était là pour immortaliser de ses photos un mariage.
Puis, sans prévenir,
Elle croise Dragan.
Ils se sont connus pendant la guerre d’ex-Yougoslavie.
Dix ans plus tôt.
Quittés sur un silence.

C’est son oncle et parrain qui célèbre l’oraison funèbre.
Un prêtre, qui l’a tant aimée.
Comment trouver les mots ?
Comment ne pas voir sa foi ébranlée ?
Lui, qui jadis se riait des sacrements de Dieu.
C’est alors les souvenirs qui remontent en chacun, présents sur les bancs de l’Eglise.

« Il n’est rien de si humble, il le sait bien, qui ne puisse accueillir et manifester la présence divine — et c’est cela, le miracle, si bien qu’en cet instant, alors que les chanteurs entonnent le psaume Te decet hymnus, lui-même pourrait presque sentir frissonner le bois peint. »

C’est lui qui lui offrit son premier objectif.
Elle, qui n’en finissait plus de capturer l’ordinaire en y cherchant Le détail.

« (…) Antonia, loin de se lasser de son nouveau jouet, se mit à tenir les membres de sa famille et les visiteurs imprudents sous la menace constante de son objectif. »

L’auteur raconte ce que les photos ne disent pas.
Ce qu’elles ne figent pas.
Cet instant du hasard qui prend des touristes sans les voir.
Puis cet instant d’après.
Absent de toute image.

« Non, nous ne resterons pas dans l’ignorance au sujet des morts. L’histoire de la photographie a commencé par l’inerte, quand le soleil devait achever sa course dans le ciel (…) »

Antonia travaille dans un journal local.
Elle couvre les événement régionaux et les frappes du FLNC.
Elle sait qu’elle ne fera jamais ici les photos auxquelles elle aspire.
Elle sait qu’elle ne fera jamais ici les photos auxquelles elle aspire.
Quitter l’insignifiance.
Se rapprocher du mal.
Belgrade.
Se sentir appelée mais par quoi ?

Le pouvoir des images.
De ce qu’elles disent. Nos paradoxes.
La chute du mur de Berlin face à l’insignifiance d’un nouveau parti Corse.
L’Irak qui envahit le Koweït face à un attentat à Ajaccio.
Qu’est-ce que les images disent de nous ? Du monde ?
Peut-on en devenir prisonnier ?

Dieu est présent dans chaque chapitre.
La foi est interrogée. Mise à mal.
Appelée puis rejetée.
Les symboles de vies et de mort prennent place comme dans un tableau..

Le texte s’entre-coupe du récit de deux photographes de guerre.
Des deux guerres mondiales.
On découvre alors leur rapport à la mort, au présent.
À l’indicible capturé quelques instants avant l’horreur.
Mise en abîme.
Auto-portrait mortuaire.
Jeu morbide du photographe recherché par des collabos et qui les photographie bravant le risque de mourir.
Leur regard dicté par la propagande.
La résistance à ne vouloir pas montrer parfois ce qui ne se peut pas.

Un titre de livre biblique :
« Car Dieu a fait l’homme à Son image et à sa Ressemblance. »
Je vous laisse avec ces quelques mots.


• L’extrait :

« Comment peut-on mourir dans un paysage pareil ? écrit-il encore à sa femme et il n’arrive pas à se former une image cohérente de ce qu’il est en train de vivre, il ne peut réunir la clarté du ciel et les chairs en putréfaction, la sérénité du désert et les massacres. La volupté et la sauvagerie, il n’y arrive pas, il n’y arrivera jamais. »


• Mon avis :

COUP DE COEUR
Ce roman est grand.
Pour ses chapitres qui commencent avec le titre d’une photo.
Comme si nous allions pénétrer dans une exposition. Sans bruit, sans un mot.
Juste l’écho des pages qui se tournent.

Pour ces passages liturgiques qui interrogent la propre foi d’un homme d’Église.
Un homme qui croyait en peu de chose.

Parce qu’il interroge nos propres cœurs. Notre capacité à l’amour.
Parce qu’il ose ébranler l’image même de Dieu, alors que nous sommes soumis à tant d’injustice et d’horreurs.

Il met à nu nos propres paradoxes face à l’image et à la photographie.
Qu’est-ce qui guide réellement le photographe ?
L’adrénaline de vivre ce qu’il voit ?
Le besoin de le capturer ? D’en faire la plus belle image ?

Ce besoin de toucher la mort dans sa plus grande réalité ?
Le pouvoir d’emprisonner le passé mais également le futur ?
La soumission à un pouvoir supérieur et qui réduit le regard à sa seule volonté ?

À voir trop d’horreurs, le regard du photographe ne se lasse-t-il pas d’une forme d’habitude de la mort elle-même ?

Ce roman est si riche que je ne peux vous le résumer réellement.
L’auteur lui-même malgré la grandeur des sujets qu’il soulève ne peut se permettre de nous en donner toutes les réponses.
Il nous esquisse quelques pistes.
Nous ouvre la voie.
Mais c’est à nous-même de faire notre propre chemin.

Je vous invite vraiment à lire cette œuvre.
Pour tout son contenu historique. Pour le courage et la profondeur des questions qu’il aborde.
Pour la construction magistrale du récit, qu’on ne lâche à aucun instant.
Ce livre, je le garde en moi, comme une photographie que j’irai revoir de temps en temps.


• L’auteur :

Jérôme Ferrari

Jerôme Ferrari À son image
Jérôme Ferrari est un écrivain et traducteur français.
Né de parents corses, il est agrégé de philosophie et titulaire d’un DEA d’ethnologie.

Il a vécu en Corse et enseigné la philosophie au lycée de Porto-Vecchio. Durant cette période, il a organisé notamment des « cafés philosophies » à Bastia, puis enseigné au lycée international Alexandre-Dumas d’Alger, au lycée Fesch d’Ajaccio jusqu’en 2012, et au lycée français Louis Massignon d’Abou Dabi jusqu’en 2015.

Depuis la rentrée 2015, il enseigne la philosophie en hypokhâgne, au lycée Giocante de Casabianca de Bastia.

Il débute une carrière d’écrivain en 2001 avec un recueil de nouvelles, « Variété de la mort » et un roman, « Aleph Zero » (2003). Auteur à la plume corrosive, Jérôme Ferrari s’inspire de la Corse pour écrire « Balco Atlantico », paru chez Actes Sud en 2008.

Avec son roman, « Un dieu un animal » l’écrivain évoque la guerre et le monde de l’après 11 septembre. Il reçoit pour ce roman le prix Landerneau en juin 2009.
Après le Prix France Télévisions en 2010 pour « Où j’ai laissé mon âme », son roman « Le sermon sur la chute de Rome » (2012) est l’un des événements de la rentrée littéraire finalement couronné par le Prix Goncourt.
Jérôme Ferrari est aussi traducteur corse – français.

*Source : Babelio


• Références :

  • À son image
  • Auteur : Jérôme Ferrari
  • Maison d’édition : Actes Sud
  • Date de publication : 22.08.2018

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