Au bois dormant

• Le mood :

Un récit à quatre mains.
Mélange de poésie sur cette maladie du silence, de mélancolie de la vie mais aussi de son pouvoir infini de création. Là où le corps des enfants libère les mots qui ne viennent pas. Cette lecture est un moment suspendu, hors du temps.


• L’histoire :

Et si la danse était l’art le plus vieux du monde. Le premier. La première expression avant même la peinture. Avant même le langage. Mais qui n’aurait laissé aucune trace.

Un quatre mains bouleversant dans lequel se mêle la puissance des cris du corps et les pulsions de vie parfois tout aussi destructrices que créatrices.
Un souffle de poésie sur les lèvres de ces enfants du silence. L’autisme.

Marie Deplechin observe ces corps qui se cherchent et qui se fuient.
Leur seule voix commune étant cette part d’enfance, de liberté qui jamais ne juge.

« J’ai pensé que la danse était peut-être l’ambassade la plus intelligente pour établir des passerelles entre les mondes, entre le monde des enfants(…) »

Et si la danse était comme une trêve pour ces enfants de l’entre-deux mondes.
Sans abolir le mal, la souffrance. Elle offre un souffle. Un oubli de tout pour n’être que soi.

Marie raconte ce corps du danseur qui ne cherche rien à dire, qui ne cherche pas à être compris.
Tout comme l’autiste, il a ses règles.
Des corps faits de cette matière qu’est la distance.

« Tu traces des circuits, des lignes d’air : le monde que tu arpentes est invisible pour mes yeux. »

Un monde où les enfants décident de venir aux autres.
De s’approcher. D’accepter de se livrer à l’écriture du corps.

« Il fallait faire sans mots, il fallait faire sans corps. Il fallait faire sans rien ou ne rien faire. »

Faire mourir la pensée en soi. Ne plus réfléchir. Accueillir le présent pour ce qu’il est. Tenter de bâtir des ponts entre soi et l’autre.

Quatre enfants. Célia. Mathieu. Arnaud et Victor.

Thierry T.N prend la plume. Une heure avec chacun d’eux.
Pousser l’enfant au dehors.
Le faire sortir avec la danse, le mouvement des corps. Tuer le chaos. Lui donner un ordre dans l’espace.

L’espace pour Célia c’est le bord des murs.
C’est cet horizon à la fenêtre qu’elle cherche mais ne voit pas.
Puis c’est l’exaltation, la course, la fuite de son monde qui la mène, pour un instant seulement, vers le nôtre.
Avant la séparation. Des corps. Des mondes.

« Avec Celia, je vais chercher une danse sans attente. »

Mathieu, lui, a besoin du choc des corps, de la secousse pour entrer en communication, rire.

« Il me donne sa le lenteur et son immobilité, ses balancements inquiétants et la beauté de sa main s’ouvrant comme un éventail. »

Le texte fait des pas chassés entre les enfants et la vie de Thierry.
Il revient sur les traces de son passé, à Hanoï. Les morts. Les racines.

« Souvent je pense à d’autre territoires où j’aime me taire et disparaître. Un arbre où je m’adosse, un sol où je m’appuie. »

Il nous parle de son amour, cet homme en proie aux pulsions de mort.
L’abandon du monde comme une chute.

« Au creux de mon silence, je parle à ton silence. »

Qui lui demande de danser pour le voir plus nu encore qu’il ne l’est.

« Le corps est toujours le lieu dont le sens s’échappe. »

Puis l’on revient à l’enfant.
Arnaud, lui, n’avait jamais dit un mot.
De ses élans décousus il danse pourtant.
Il faut savoir garder le silence pour provoquer les mots.
Attendre sans jamais rien demander pour que le miracle se présente.
« Danse ! »
Arnaud est comme un secret bien gardé.

Il y a aussi Victor et sa danse primitive, violente.
Ses chagrins qui n’appartiennent qu’à lui. Ses cris qui veulent peut-être dire qu’il est heureux.
Victor est l’inatteignable. Un univers les sépare. L’impalpable est entre eux mais la matière, le corps peut les rassembler.
Un instant.


• L’extrait :

« Contempler son visage, c’est tenter de dire l’humanité qui nous fait signe dans la nuit. »


• Mon avis :

J’ai beaucoup aimé Au bois dormant, ce court récit écrit à deux auteurs. L’une écrivaine, l’autre chorégraphe et danseur (mais aussi psycho-motricien).

Faire l’expérience du silence, se confronter à cet autre qui habite un monde qui ne communique pas avec le nôtre, l’approcher par le seul langage commun : le corps.
J’ai lu ce récit comme un recueil de poèmes dans lequel on avance, comme dans la vie.

Ce sont deux témoignages poignants qui démontre également le chemin incroyable que ces enfants peuvent accomplir en se connectant à ce qu’il y a de plus primitif et libre chez nous.

Ce qui devrait l’être pour nous tous.

 


• Les auteurs :

*Marie Deplechin
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Marie Desplechin est journaliste et écrivain de livre pour enfants et adultes.
Mariée et mère de trois enfants, dont l’un avec François Muratet, elle a fait des études de lettres et de journalisme avant de travailler dans la communication d’entreprise.

Ses premières parutions sont pour L’école des Loisirs (1993). Ce n’est qu’après qu’elle se lance dans l’écriture de nouvelles (1995).
Elle est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence et depuis 2006 publie régulièrement des articles dans l’Express.
« La Vie sauve » qu’elle coécrit avec Lydie Violet, obtient le prix Médicis essai en 2005.
« Danbé », coécrit avec Aya Cissoko, obtient le Prix de l’héroïne “Madame Figaro” 2011.
En 2013, elle obtient le Prix Bernard Versele (catégorie 5 chouettes) pour son ouvrage jeunesse « Babyfaces ».
Elle a écrit près de 69 livres. Elle travaille régulièrement comme journaliste pour différents magazines et participe à l’écriture de scénarios de films. Elle vit à Paris. Certains de ses livres ont été publié, plus tard, en BD.

*Thierry Thieû Niang

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Thierry Thieû Niang a été instituteur, psycho-motricien en France et à l’étranger.

En formation en danse auprès de Renate Pook, Christine Gérard, Carolyn Carlson, Odile Duboc, Douglas Dunn et Julyen Hamilton. Il a été interprète pour les compagnies de Hideyuki Yano, Christine Gérard et Daniel Dobbels, Nadine Hernu, Daniel Larrieu, Héla Fattoumi et Eric Lamoureux.

Au théâtre Thierry Thieû Niang participe au travail de Robert Carsen, de Claude Régy, de Bruno Meyssat, Alain Gintzburger, François Rancillac et Patrice Chéreau… ainsi qu’au cinéma pour Philippe Fréling, Jacques Vincey, Solveig Dommartin, Stéphane Nelet et Frédérique Ribis.

Thierry Thieû Niang crée aussi des mises en espaces pour des concerts, des récitals pour musiciens et chanteurs tels Jeff Cohen, Carol Robinson et Cathy Milligan, Luis Madureira, François Lasserre, Fania, Damon Lee, Pierre Badaroux Bessalel, Catherine Delaunay, Bertrand Schacre, Tatiana Mladenovitch et Klaus Janek.

Thierry Thieû Niang collabore au travail de plasticiens comme Jean Charles Blais, Nguyen Cam, Pierre Coulon, Richard Deacon, Didier Tisseyre, Jenny Holzer, Isabelle Waternaux et Mahi Grand.

 *Source : Babelio


• Références :

  • Au bois dormant
  • Auteur : Marie Deplechin et Thierry Thieû Niang
  • Maison d’édition : Éditions des Busclats
  • Date de publication : avril 2018

 

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