Saturne


• Le mood :

Saturne, roman noir à la plume cosmique et lumineuse.
L’auteure raconte la disparition de son père et la manière, dont elle-même, a bien failli disparaître…


• L’histoire :

« On déchira un pan de ma chemise de nuit à hauteur du coeur.
Mais personne ne me dit que mon père était mort. »

Harry ; le père de l’écrivaine meurt à 34 ans.
Elle n’a que 15 mois
Et voit disparaître un père que tous pleurent.
Une mère qui tente de se précipiter dans le caveau.
Et puis le silence. Trop grand.

« Quand on ouvrit le caveau pour y descendre le cercueil de mon père, ma mère voulut s’y précipiter.
Ils étaient brisés. Leur douleur à tous de l’avoir perdu était la seule chose qu’il restait de lui.
Mais pour moi, rien n’avais changé. Il était toujours là, il avait disparu. »

C’est à 7 ans,
Qu’elle comprend qu’il ne reviendra jamais.
Trouver l’enfance aussi longue que de traverser chaque jour les enfers.
Décider de mourir, déjà, enfant.
Se précipiter dans un lac.
Appelée par ce chant morbide,
Ce chuchotement qui murmure que la vie est trop vide de sens.
Trop violente.

« Les morts ne sont pas avalés, ni par l’eau ni même par la terre. Ils continuent de marcher parmi les vivants. »

Le 4 mai 2019,
À Genève ; de retour près de ce même lac,
À l’occasion d’une conférence, une dame l’accoste.
Elle est belle.
Elle a connu son père, son oncle et son grand-père à Alger.

« (…) j’ai préféré faire mine d’oublier que j’avais un jour, devant une tombe, fait la promesse d’écrire cette histoire du crépuscule d’un monde, de la fosse incurable de nos regrets, et d’une maladie mentale, la mienne, qui fut une damnation avant d’être une chance. »

Le sol se dérobe.
L’esprit refuse.

« C’était une douleur qui avait l’immensité du monde. Ce n’est plus rien. Pas même une question.
Une histoire, scellée dans les nuits d’enfance, qui m’a percutée, et tuée, il y a des siècles. »


Si nous avons découvert l’histoire de sa mère dans les Enténébrés,
Se joue alors sous nos yeux l’histoire de ce père,
Élevé dans une grande famille qui révolutionna la médecine de l’époque.
Lui qui n’avait d’yeux que pour les étoiles.
Eux, qui furent un jour exilés d’Algérie.

« À l’ambition, il avait toujours préféré les mystères des étoiles, le cinéma, les livres anciens. Et puis Ève, sa femme. Il ne verra jamais les images de Saturne ni des autres géantes gazeuses. »

Une famille qui avait décidé pour lui ce qu’il devait être.
Mais Harry n’est pas comme son frère.
D’ailleurs il s’éprend d’Ève,
Prostituée et future mère de l’auteure.
Et qu’importe, il l’aime à en brûler,
Il l’épousera coûte que coûte.
Malgré la mère, la réprobation du frère, l’image de cette famille à tenir…

« Elle brûlait de sa beauté blonde, un peu sale, dans une robe trop somptueuse. »

Aimer, écouter son coeur n’est pas chose possible pour tous.
Certains êtres sont destinés malgré les épreuves qui les attendent.

Une famille comme une dynastie.
Un poids à porter et transmettre.
Du père au fils.
De l’aîné au fils dernier.
Des choix qui vous condamnent.
Une maladie qui vous damne.

« Tout autant que le produit d’un milieu, enfant, j’étais déjà le produit des douleurs qui peuvent détruire les adultes d’où qu’ils viennent à la suite d’un deuil. Nous vivions entourés de fantômes. Nous les hantions avec violence. »

Vient alors la colère,
Un typhon de pensées qui emporte tout sur son passage.
Toute raison.
Tout amour.
Et si tout était faux.
Si tous l’avait finalement tué.

« Je n’appartiens à rien ni à personne. J’habite l’ardeur avec toi. Dans la mort des soleils, je ne vois que ton visage ; et je ne tiens pas à ce que cela change. »



• L’extrait :

« De Saturne, astre immobile, froid, très éloigné du Soleil, on dit que c’est la planète de l’automne et de la mélancolie. Mais Saturne est peut-être l’autre nom du lieu de l’écriture – le seul lieu où je puisse habiter. »


• Mon avis :

Beauté cosmique.
Une plume lumineuse qui vient illuminer le néant.
Il y a des douleurs qui appartiennent aux mondes intérieurs.
Il y a des écritures célestes qui savent les dire.
Ce livre, c’est le récit de l’expérience de la mort.
Le vide qu’il sème en nous.
La dissociation du monde.
Le coeur qui se brise.

« Les japonais nomment Takotsubo, qui veut dire « piège à poulpe », ce syndrome où, à la suite d’une rupture amoureuse, d’un deuil ou d’un choc émotionnel intense, le coeur se déforme, ses muscles s’affaiblissent et deviennent si paresseux que, tout à coup, littéralement, il se brise. »

La perte des couleurs, de la vue.
L’esprit aussi loin qu’il aimerait mourir.
Ne plus s’habiter.

« L’émerveillement et la douleur devant la beauté féroce de la vie m’ont rendue à la nuit, là où la seule richesse qui vaille vient du tréfonds des êtres. »


Regarder ce corps comme s’il n’était jamais né.
Comme s’il n’avait jamais existé.
Devenir l’autre, celui que l’on a perdu.
Ne plus savoir s’il a été vivant un jour et donc s’il est possible qu’il soit mort.
La solitude, la nuit en plein jour.

« (…) je vais au cinéma pour pleurer, sinon, je ne pleure jamais, et vous ? »

Cette présence disparue qui vous dévore.
L’amour absent.
Et puis un jour la vie qui réapparaît
Un détail qui l’aura ranimée.
Et l’amour de nouveau possible
Parce qu’il n’y a plus rien à perdre.

• L’auteure :

Sarah Chiche*

Copyright : © LynnSK

Sarah Chiche est écrivain, psychologue clinicienne et psychanalyste.

La mélancolie est « le cœur littéraire » de son écriture et « un enjeu intellectuel et professionnel ».
Elle l’a explorée dans « Personne(s) », publié aux éditions Cécile Defaut en 2013, « méditation sur la mélancolie, le deuil, l’écriture et l’existence » à partir du Livre de l’intranquillité, de Bernardo Soarès, le semi-hétéronyme de Fernando Pessoa.

Elle la questionne dans « Le diable dans la peau », sa préface à un diptyque composé pour les éditions Payot, et rassemblant La Peau de Chagrin d’Honoré de Balzac et Un cas de névrose démoniaque au XVIIe siècle de Sigmund Freud.
On lui doit également « Éloge de l’égarement », une préface à une traduction inédite des Trois essais sur la théorie sexuelle de Sigmund Freud, où elle propose une relecture de Freud, à la lumière de La Pianiste d’Elfriede Jelinek et du Clèves de Marie Darrieussecq, et « Éloge de la dévoration », une préface à une nouvelle traduction de La Confusion des sentiments de Stefan Zweig.

En 2015, Ethique du Mikado, son essai sur la question du mal dans le cinéma de Michael Haneke, paru aux PUF dans la collection « Perspectives critiques », bénéficie d’un accueil enthousiaste de la presse. Elle s’emploie à y « démonter les mécanismes de la machinerie du cinéma de Michael Haneke, les rouages de son univers fantasmatique, la logique interne de ses films, leurs références revendiquées ou inconscientes, leurs soubassements. »
Découpé en soixante et onze fragments, comme un écho à l’un des films du cinéaste, « 71 fragments d’une chronologie du hasard », Ethique du Mikado se propose de réfléchir à la manière dont les images du cinéma peuvent nous servir d’école morale, et comment la confrontation à la mise en scène d’un mal radical pour lequel nous sommes tous potentiellement disponibles, non pas en tant que victimes, mais bien en tant qu’agents, peut paradoxalement nous inciter à agir mieux que bien.

Elle fait une apparition dans le film de Michael Haneke, Happy end.
Sarah Chiche a également publié, plus jeune, deux romans aux éditions Grasset.
L’inachevé, en 2008, pour lequel Le Monde des livres a parlé « d’écriture sous électrochocs », et L’emprise, en 2010.
Elle écrit régulièrement pour Le Cercle Psy et Le Magazine littéraire.
Diplômée de l’Université Paris-Diderot, elle exerce en tant que psychologue clinicienne et psychanalyste à Paris.

*Source : Babelio



• Références :

  • Saturne
  • Auteure : Sarah Chiche
  • Maison d’édition : Editions du Seuil
  • Date de publication : 20.08.2020

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