
• Le mood :
Le plus grand livre qu’il m’ait été donné de lire en 2019.
Un roman immense par sa langue, son sujet ; jeunes filles enlevées par Boko Haram. Ce roman c’est toute la beauté de ces vies que l’on a soufflées, volées. Et qu’elle dépose humblement ici en leur redonnant vie.
• L’histoire :
« J’ÉTAIS UNE FILLE AUTREFOIS, c’est fini. JE PUE. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier. Emmenée en trombe à travers cette forêt que j’ai vue, cette première nuit d’effroi, quand mes amies et moi avons été arrachées à l’école. »
Cette nuit-là, de faux soldats ont surgi des ombres.
Volant des vies.
Dans tout ce qu’elles avaient de vivant.
La terreur s’empare du dortoir.
Les pleurs ne servent plus à rien
Face à la cruauté et à ce qui est déjà scellé.Dans les camions elles sèment au sol les objets.
Seul espoir d’être sauvées.
Mais la jungle les avale toutes entières.
Trop effrayées pour sauter.
« Il n’y a plus que Babby et moi maintenant. Elle crie de la fosse de son ventre vide, des cris sauvages et rauques, et je lui dis « Tu n’as ni nom ni père. » J’aboie après elle. Parfois j’ai envie de la tuer. Mes seins ont la taille de coquetiers, et elle tire sur les mamelons comme si elle voulait aussi me tuer. »
Là-bas les langues sont arrachées.
Les vêtements brûlés.
Annihiler toute identité.
Apprendre les prières dans cette langue inconnue.
« La terre sur laquelle je m’agenouillais était jonchée de coeurs à moitié mangés, et de gorges tranchées çà et là, le sang gargouillant en un flot interminable. J’ai couru parmi les restes entassés, jusqu’à retrouver mes parents et mon frère. Je les ai embrassés et ils m’ont pardonnée, même s’ils étaient morts. J’étais trop triste pour pleurer. »
Séparées, elles ne tarderont pas à subir « l’opération ».
Sur une table.
Chacun des hommes.
Un seau…
Dès qu’ils partiront pour une nouvelle bataille,
Elles seront alignées sur des lits de fer,
Offertes en sacrifice aux monstres.
Heureusement il y a ce petit garçon et puis Buki.
Les fosses et les lapidations inondent la terre.
Son pagne est jeté plusieurs fois à terre.
On lui prend son corps sur la terre battue.
On prend en photo son visage délaissé de toute vie.
On inonde ses chairs pendant que la pluie teinte sur la cime du grand arbre.
Les feuilles battent l’air pour crier leur dégoût des hommes.
Puis c’est un mari qu’on lui offre.
Il caresse ses lèvres avec maladresse
En lui donnant son nom.
Mahmoud.
Maryam et Mahmoud.
Une fille naîtra dans la poussière.
Déshonneur mais qu’importe.
Les bombardiers arrivent.
Se sauver. Courir plus loin dans la forêt avec Buki.
Puis ce sont les mots anciens qui reviennent.
La faim au ventre.
Et la mort qui frappe, sépare encore pour laisser plus seule toujours.
Babby qui pleure affamée.
Maryam trop jeune pour être maman.
« Ils sont deux, dans leur uniforme flottant, levant leurs armes. L’un tire en l’air, les oiseaux affolés s’envolent dans un soudain battement d’ailes, car ils ne savent où aller et les branches les plus basses se balancent violemment. Le silence de l’aube est brisé. Le second sort des téléphones de ses poches et démêle les cordons. »
Le monde, depuis son arrachement, est devenu diabolique.
Les hommes ne sont plus que des ombres.
Comment revenir au monde quand on vous a tout pris ?
D’un arrachement en naît un autre.
Les superstitions des hommes bannissent.
La noirceur envahit chaque parcelle de peau.
La mère est tantôt l’ennemie,
Celle qui prend, interdit.
Et celle qui regrette et expie.
« « Ne nous oublie pas » a-t-il dit. Ça ressemblait davantage à un échange entre vivants et morts, comme si son spectre le tenait déjà. »
• L’extrait :
« Je n’arrivais pas à dormir. La bâche du toit de la chambre avait été enroulée. Toutes les étoiles étaient parties et le ciel était or, un dôme d’or de bout en bout, un éclat si vif qu’on aurait dit que le monde était au seuil d’une nouvelle création. (…) Tout était calme. En cet instant d’espoir et de bonheur sans mélange, il m’a semblé que ces rayons inondaient les dimensions les plus noires du pays lui-même. »
• Mon avis :
Mon plus beau et grand livre de 2019.
Très difficile de poser des mots sur ce livre, la langue d’Edna O’Brien, le récit, la vie de ces jeunes femmes m’ont totalement bouleversée. Un roman fruit de 3 années de travail, d’enquêtes, d’entretiens avec ces jeunes femmes enlevées.
Je le vois comme un hommage, comme une parole rendue, qu’on leur a enlevée.
2 millions de personnes ayant fui leur maison.
5,2 millions sans nourriture.
450 000 enfants en mal nutrition.
• L’auteur :
Edna O’Brien

*Edna O’ Brien, écrivaine irlandaise née le 15 décembre 1930, a grandi à la campagne entre une mère pieuse et rigoureuse et un père alcoolique.
Après l’école primaire, elle est scolarisée chez les sœurs (Covent of Mercy) à Loughrea dans le comté de Galway et au Pharmaceutical College of Ireland. Elle y reste de 1941 à 1946. Elle travaille ensuite dans une pharmacie et prend des cours du soir pour devenir pharmacienne. Elle obtient sa licence en 1954. A cette période elle écrit et épouse Ernest Gébler. Ce mariage n’obtient pas la bénédiction de ses parents car Gébler est juif d’origine tchèque.
Le couple s’installe à Londres et a deux fils (l’un est devenu l’écrivain Carlo Gébler et l’autre, l’architecte Sasha Gébler). Mais Ernest Gébler, jaloux des succès littéraires d’Edna, demande le divorce.
Edna O’Brien a lu des manuscrits pour les éditeurs Hutchinson à Londres et leur a demandé d’éditer son premier roman, The Country Girls (1960), le premier livre d’une trilogie (avec « The Lonely Girl » en 1962 et « Les filles dans leur bonheur conjugal » en 1964). Sa manière franche de parler de la sexualité dans ces romans et dans les suivants a valu à l’autrice d’être en conflit avec l’Église catholique. Ces romans et plusieurs autres ont été interdits par le Conseil de la censure irlandais.
Elle est également l’auteure d’une trilogie de romans sur l’Irlande moderne: House of Splendid Isolation (1994), dans laquelle elle écrit sur le nationalisme irlandais et la violence sectaire
Elle a reçu plusieurs prix littéraires, dont le Prix du livre du Los Angeles Times (Fiction) en 1990 pour Lantern Slides, une collection de nouvelles qui se déroulent principalement en Irlande
Auteur de nouvelles mais aussi de pièces de théâtre (dont Virginia (1981), inspirée de la vie et des écrits de Virginia Woolf) et de scénarios, ses écrits font scandale dans les années 60-70 et sont interdits dans son pays d’origine. Edna O’Brien y parle ouvertement de sexualité et conteste l’ordre moral et familial de l’Irlande catholique et nationaliste, contribuant ainsi à alimenter ce que l’on a appelé le révisionnisme culturel irlandais.
Edna O’Brien est membre d’Aosdána, une organisation irlandaise fondée dans le but de promouvoir les arts, elle est également professeur auxiliaire de littérature anglaise à l’University College de Dublin et membre honoraire de l’American Academy of Letters.
*Source : Babelio
• Références :
- Girl
- Auteur : Edna O’Brien
- Maison d’édition : Sabine Wespieser
- Date de publication : 12.09.2019
Merci beaucoup pour ce partage. Je crois que je ne pourrais pas lire ce livre alors qu’il serait indispensable de le découvrir mais trop difficile, encore, pour moi. Même à lire, ce retour sur cet enfer est insupportable… Merci vraiment…
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Je viens de le prendre à la bibliothèque. Très dur mais à lire absolument. J’en dirai davantage sur mon blog lorsque je l’aurai lu.
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