Fuir

• Le mood :

Fuir ; la suite de Faire L’amour, premier opus de la fameuse quadrilogie MMMM de Jean-Philippe Toussaint.
Une plongée en apnée dans les mécanismes étranges de l’amour et de l’absence.
Ce que les corps se disent lorsqu’ils se repoussent en se désirant plus que tout.


• L’histoire :

« Serait-ce jamais fini avec Marie ? »

MARIE. Anagramme du mot AIMER.
Avant l’été de leur séparation,
Marie l’avait envoyé en mission à Shanghai.
Seul ; il est reçu par un insipide Zhang Xianghzi.

« Il s’installa au volant, laissant le chauffeur, jeune type à la présence fluide qui frôlait l’inexistence, monter à l’arrière après avoir rangé ma valise dans le coffre. »

Il dort le jour et sort déambuler la nuit.
Le long du fleuve éclairé par la ville.

« (…) et je songeais à Marie avec cette mélancolie rêveuse que suscite la pensée de l’amour quand elle est jointe au spectacle des eaux noires dans la nuit. »

Un soir il rencontre Li Qi.
Cette femme avec qui, instantanément quelque chose naît.
D’un lieu inconnu.
Elle lui propose de venir avec lui à Pékin.
Mais lorsqu’il la rejoint à la gare,
Xianghzi est présent.

Tout lui semble étranger,
Et étrange.
Jusqu’aux miroirs de crachats formés sur les trottoirs.

Les regards se croisent et se cherchent
Les lèvres s’effleurent en un exquis frisson
Est-ce déjà trop tard lorsque
Les corps s’appellent et s’attendent,
Repoussant le moment de s’offrir ?

« (…)nos regards se croisèrent encore et je sus avec certitude qu’elle aussi avait été consciente de ce nouveau contact secret entre nous, comme une ébauche, la rapide esquisse de l’étreinte plus complète, de nouveau différée, qui ne tarderait plus. »

J.P Toussaint installe une poésie de l’oppression.
De l’angoisse dans la prose.
Nous sommes dans cette ville,
Perdu avec le narrateur.
Il utilise la barrière de la langue comme œillères au lecteur.
Parasite la quiétude par d’inquiétants personnages.
Il utilise le téléphone comme la fiole d’acide
Dans le premier Opus Faire l’amour.

Le téléphone devient l’objet de surveillance
De tous les dangers.
Objet d’angoisse. De censure.
De mort.

« (…)il y a bien une alchimie secrète qui unit le téléphone et la mort. »

Une sonnerie.
Puis la mort au téléphone.
Marie déambulant dans le Louvre, perdue.
Sa seule voix ravive tout.
Les souvenirs. Les images.
La distance. La nuit et le jour avec Marie.
La sensualité de sa voix.

Chercher de l’air.
Libérer la nuit et l’étau des larmes.
Chercher le grésillement de Marie.

Autour tout s’oxyde.
Pékin, la chaleur et la poussière des travaux de la ville

S’affrontent la souffrance et l’épuisement du narrateur,
Face à l’impassibilité, l’inexpression des autres personnages.
Il n’y a que la masse, le bruit, les lumières aveuglantes…

Commence alors une deuxième partie totalement folle.

« J’avais le sentiment d’être hors du temps, j’étais dans le silence — un silence dont je n’avais plus idée. »

Il la rejoint.
Mais les corps se fuient.
Comme dans un cauchemar où l’autre est inatteignable.
Comme s’ils ne se voyaient pas.
La tendresse ayant déserté.

« Quand elle me vit, me reconnut, elle me dévisagea avec détresse, une bouffée de douleur envahit son visage, mais elle retrouva aussitôt son sang-froid et redevinrent froide, digne, distante, elle me fit simplement signe de la main d’aller m’asseoir à l’écart sur un banc, mais pas à côté d’elle, elle ne me dit pas de la rejoindre. »

Je souffre de la distance entre eux.
De ces voyages paradoxaux qui les opposent.
De l’absence de Marie dans cette première partie.
De cette absence de contact physique.
Ces deux corps perdus dans les eaux.
Angoissantes et sombres.
Nageant l’un vers l’autre ou non.

Les corps et les coeurs
S’appellent dans un même mouvement repoussoir.
Le livre de la présence insoutenable de l’autre dans son absence.

 


• L’extrait :

« De nouveau Marie me cherchait avec fièvre, elle s’arrêtait devant les vitrines des bars et scrutait la pénombre entre ses mains pour voir si je n’était pas à l’intérieur. »


• Mon avis :

Un roman servi tout en tension.
Où dominent les paradoxes, la distance au travers du voyage.
Marie y est constamment présente pour le lecteur alors même que J.P Toussaint l’évacue entièrement de la première partie de son roman.
Une construction brillante qui révèle toute la complexité de Marie.
Sa rudesse, son indifférence puis sa fragilité extrême.
Une vulnérabilité qui nous met à fleur de peau.
Une fois encore, je découvre un J.P Toussaint dont la poésie des détails n’a nul égal.


• L’auteur :

Jean-Philippe Toussaint

Jean-Philippe Toussaint assiste aux communications faites à propos de son oeuvre. Mais condamné au silence. «En fin de compte, ce n’est pas Jean-Philippe Toussaint qui détient la vérité sur son œuvre », comme le dit l’un des intervenants.
Copyright photo : https://plus.lesoir.be/

*Jean-Philippe Toussaint est un écrivain et réalisateur belge de langue française.

Il est le fils d’Yvon Toussaint, journaliste au Soir et de Monique Toussaint, fondatrice de la libraire Chapitre XII à Bruxelles et le frère de la productrice de cinéma Anne-Dominique Toussaint (1959).

Il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (1978) et titulaire d’un D.E.A. d’histoire contemporaine.

Jean-Philippe Toussaint obtient en 1986 le prix littéraire de la Vocation pour son premier roman publié « La salle de bain ». Il est lauréat de la Villa Kujoyama en 1996.

Il est l’auteur d’une dizaine de romans, tous publiés aux éditions de Minuit, qui se caractérisent par un style et un récit minimaliste, dans lesquels les personnages et les choses n’ont d’autres significations qu’eux-mêmes.

En 2002, il commence « Le Cycle de Marie », intitulé « Marie Madeleine Marguerite de Montalte », en quatre volets : « Faire l’amour » en 2002 ; « Fuir » en 2005, qui obtient le prix Médicis du roman français la même année ; « La Vérité sur Marie » en 2009, qui obtient quant à lui le Prix Décembre en 2009 et le prix triennal du roman, décerné par la Fédération Wallonie-Bruxelles, en 2013 ; et le quatrième volet « Nue », en 2013.
Il adaptera en 2016 pour le théâtre ce cycle littéraire dans un spectacle mixte mêlant lectures, vidéos et musiques originales composées et jouées sur scène par The Delano Orchestra.

Ses recherches artistiques le conduisent aux arts plastiques et à la photographie : depuis 2000, il expose régulièrement en Europe (Belgique, France) et au Japon. Jean-Philippe Toussaint est aussi l’auteur d’articles et de textes courts parus dans la presse quotidienne (Libération) ou des revues en ligne (bon-a-tirer.com).

En 2014, il succède à Henry Bauchau au fauteuil 9 de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (ARLLFB).

son site : http://www.jptoussaint.com/

*Source : Babelio


• Références :

  • Fuir
  • Auteur : Jean-Philippe Toussaint
  • Maison d’édition : Les Éditions de Minuit
  • Date de publication : 16.09.2005

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s