
• Le mood :
Un voyage en Modiano.
Dans un Paris Passé, où s’entremêlent pensées présentes, nostalgie, obsession et enquête dans les souvenirs voilés qui se dévoilent à nous.
Lecture parfaite pour ce début d’automne où les journées raccourcissent et la nostalgie des beaux jours se recouvre d’un bon plaid !
• L’histoire :
Encre Sympathique ou Voyage en Terre Modiano.
Dans un Paris qui prend encore son temps.
Un Paris sans téléphones ni ordinateurs portables.
Un Paris où l’on pratique encore les envois Poste restante.
« J’attendais devant le guichet de la poste restante. »
« Jusqu’au bureau des PPT »
Notre capitale, dans laquelle le narrateur vagabonde,
À la recherche d’une femme disparue…
On sent chez lui cette nostalgie d’un temps où Internet n’existait pas pour tout nous dicter.
Où certains mystères restaient entiers.
Et les agendas vides étaient autant de souvenirs que l’on perdait.
« Peut-être serait-il plus simple de respecter l’ordre chronologique m, et s’aider pour cela d’un très grand nombre de points de repère. Mes agendas sont plus vides que celui de Noëlle Lefebvre que j’avais découvert dans le double fond de la table de nuit. »
Noëlle Lefebvre s’est évaporée.
Comme les souvenirs qui vont avec.
Nous partons avec Modiano en filature,
À la rencontre de personnages
Dont on finit parfois par douter qu’ils aient même un jour exister.
Et pourtant ces lieux.
« Rue Vaugelas. », « Rue de la Félicité », « Rue de la Convention »
Autant d’ancrages que l’auteur dépose,
Pour nous perdre tout en nous emportant dans ce Paris d’avant.
Les rues ont gardé leur nom,
Pourtant, la manière de les dire, les expressions sont d’un autre temps.
Époque Révolue où l’on cherchait encore à joindre les personnes
À l’aide d’un bottin.
Une navigation chahutée par des souvenirs qui reviennent,
Sans chronologie aucune.
D’une attente dans un café,
Nous partons dans un appartement rue de la Convention,
Pour revenir dans le passé au Dancing de la Marine,
Puis devant la vitrine de chez Lancel…
Les interrogatoires maladroits,
Mensonges exquis dans lesquels notre narrateur s’amuse.
« Il hochait la tête, comme s’il approuvait. Oui, j’avais deviné juste. Et pourtant, je ne me sentais plus le courage, en cette fin d’après-midi, de continuer à jouer à ce jeu. Je risquais de m’égarer pour de bon à force d’avancer à l’aveuglette. »
Parfois les vides, les mystères nous poussent à nous approcher
Au plus près de nous-mêmes.
Parce qu’ils font appel à l’intuition, à ce que nous savons.
« Il y a des blancs dans une vie, mais parfois ce qu’on appelle un refrain. »
Nous sommes témoins avec lui des vestiges de la ville.
Des immeubles disparus.
Du Paris reconstruit.
De ce temps incertain dans lequel l’écrivain doute.
On se promène dans sa mémoire.
Le visage du temps qui change.
Avec légèreté.
Mais avec, aussi, cette ombre nostalgique d’un temps qu’il nous est difficile de quitter.
« Mais je ne voulais pas comptabiliser ma vie, je la laissais s’écouler comme l’argent entre les doigts. Je ne me méfiais pas. (…) J’étais trop jeune pour savoir qu’à partie d’un certain moment vous butez sur des trous de mémoire. »
Quelles sont les lignes de fuite de nos vies ?
« Je crois qu’il est préférable de laisser courir ma plume. Oui, les souvenirs viennent au fil de la plume. Il ne faut pas les forcer, mais écrire en évitant le plus possible les ratures.»
Et si tout était déjà écrit à l’encre sympathique ?
Si notre vie nous révélait tous ses mystères, en serions-nous plus heureux ?
Il y a des vides qu’il ne faut pas tenter de combler.
Des absences qu’il faut accepter.
Avec cette inconnue ; la grande équation qu’est la vie.
« Et je finissais par croire que j’étais à la recherche d’un chaînon manquant de ma vie. »
• L’extrait :
« Il croyait donc tout ce que je lui avais dit sur Noëlle Lefebvre. Et j’avais, en ce temps là, une telle facilité à m’introduire dans la vie des autres que je me suis demandé si je ne l’avais pas rencontrée, elle, dans ce café boulevard des Capucines, le soir, après son travail. »
• Mon avis :
Un très beau texte de Modiano dans lequel j’ai adoré m’égarer.
Cette langue de la nostalgie qui lui colle à la peau.
Ce temps passé qui pourrait nous le dessiner en vieillard,
Et qui, pourtant, nous montre son visage d’enfant joueur.
Joueur avec le temps, avec le lecteur, avec ses souvenirs.
C’est peut-être ça écrire.
Déshabiller la vie pour la déguiser à sa guise.
• L’auteur :
Patrick Modiano

*Patrick Modiano est un écrivain français.
Il est né d’un père juif italien, Albert Modiano (1912-1977) et d’une mère belge flamande, Louisa Colpeyn (1918-2015), débarquée à Paris en 1942 pour tenter sa chance comme comédienne. Délaissé par ses parents, Patrick est le plus souvent gardé par ses grands-parents puis placé dans des pensionnats. En 1957, il perd son frère de deux ans son cadet des suites d’une leucémie.
Il fait ses études à l’école du Montcel à Jouy-en-Josas, au collège Saint-Joseph de Thônes (Haute-Savoie), puis au lycée Henri-IV à Paris. Ayant pour professeur particulier de géométrie Raymond Queneau, un ami de sa mère qu’il rencontre alors qu’il a quinze ans, il décroche son baccalauréat à Annecy, mais n’entreprend pas d’études supérieures.
Sa rencontre avec Queneau est cruciale. Introduit par lui dans le monde littéraire, Patrick Modiano a l’occasion de participer à des cocktails donnés par les éditions Gallimard. C’est en 1967 qu’il publie « La Place de l’étoile », un premier roman sur l’Occupation couronné du prix Roger Nimier 1968. À partir de cette année, il se consacre exclusivement à l’écriture.
Après « La Ronde de nuit » de 1969, il reçoit en 1972 le Grand prix du roman de l’Académie française pour « Les Boulevards de ceinture ».
En 1970 Patrick Modiano épouse Dominique Zehrfuss. De cette union sont nées deux filles, Zina (1974), future réalisatrice et Marie (1978), chanteuse et écrivain.
S’il sort aussi « Villa triste » et « Livret de famille » en 1975 et 1977, c’est en 1978 qu’il obtient le prix Goncourt pour « Rue des boutiques obscures », son sixième roman. Publiant également « Une jeunesse » et « De si braves garçons » en 1981 et 1982, le romancier reçoit en 1984 le prix de la fondation Pierre de Monaco pour l’ensemble de son ouvre. En 2002, il obtient le Prix Jean-Monnet de littérature européenne du département de Charente pour « La Petite Bijou ».
En 2014, Patrick Modiano obtient le Prix Nobel de Littérature « pour son art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation ».
Auteur d’une trentaine d’ouvrages, Patrick Modiano est aujourd’hui reconnu comme l’un des écrivains les plus talentueux de sa génération.
Il a par ailleurs signé les scénarios de quelques films, dont « Lacombre Lucien », de Louis Malle (1974) et « Bon Voyage » de Jean-Paul Rappeneau (2003), et a écrit des pièces de théâtre et des chansons (pour Françoise Hardy, Régine…).
• Références :
- Encre sympathique
- Auteur : Patrick Modiano
- Maison d’édition : Gallimard
- Date de publication : 03.10.2019