Retour à Yvetot

• Le mood :

Le livre qu’il faut absolument lire pour tout savoir du processus d’écriture d’Annie Ernaux et surtout comprendre le rôle que joue la ville d’Yvetot dans la vie de l’auteur mais aussi dans son oeuvre tout entière.


• L’histoire :

Ce livre est est la transcription d’une conférence donnée par Annie Ernaux.
En 2012, pour la première fois, elle revenait en tant qu’écrivaine dans la ville de son enfance.
Celle qu’elle a tant écrit, et pourtant, tant fuit.

Elle dit venir rendre un peu à cette ville ce qu’elle lui a pris, prélevé.
S’excuser du sentiment d’ingratitude qu’auraient pu ressentir ses habitants.
L’élitisme qu’ils auraient pu y voir.
Choisir de revenir,
C’était raconter ce lien qui unit sa vie, mais surtout son écriture à Yvetot.
À ses habitants.
Son souvenir le plus intense et le plus nourricier pour la plume.
« Certaines disparitions, déjà anciennes, m’ont affligée, comme celle de la Halle aux Grains, qui abrite la célèbre salle aux Poteaux et le vieux cinéma Leroy. De retour à la maison, je ne me souviens absolument jamais de la ville que je viens de voir, de la ville telle qu’elle est aujourd’hui, avec ses nouveaux magasins, ses nouvelles constructions. »
Les ruines et la reconstruction d’après-guerre d’Yvetot sont le territoire du souvenir d’Annie Ernaux.
Son terreau.
Un temps où les quartiers s’opposaient au centre ville.
Où les gens les plus modestes vivaient retirés.
Sans nom de rues.
Un néant urbain.
« La mémoire est ici plus forte que la réalité. Ce qui existe pour moi, c’est la ville de ma mémoire (…) »
Une ville où l’école était ce temps et cet espace retiré de l’enfance.
Dans un pensionnat catholique pour enfants de bonne famille.
Un milieu scolaire opposé à la famille d’Annie Ernaux.
Son milieu social modeste.
École où elle a appris le langage écrit qui érigeait alors cette frontière de honte entre la langue de sa famille, oral et la langue du savoir, par l’écrit.
Elle revient alors sur ce sentiment de honte dont elle parle dans La Honte.
Celle de son milieu social.
L’eau courante qui manquait.
L’absence des disques de musique classique.
Cette langue qui était différente chez elle.

Elle aura pourtant été élevée dans une soif de lire,

Transmise par sa mère.
Les livres manquaient et le désir de lire ne devenait que plus grand.
Puis il y a avait ces livres interdits, comme Le diable au corps de Radiguet.
Lire, oui.
Mais à quel moment de sa vie Annie Ernaux a-t-elle écrit ?
C’est en 1967 après la mort de son père,
Qu’elle trouve le chemin de l’écriture.
Elle est alors professeure de français.
« Savoir ce que l’on veut écrire, soit, je ne suis pas la première dans ce cas, mais la grande question : comment écrire, de quelle façon écrire ? Est-ce moi la petite fille de l’épicerie de la rue du Clos-des Parts (…)? »
Mais quelle langue choisir pour écrire ?
Annie Ernaux est tiraillée.
Entre la langue littéraire et la langue de la vie.
Elle choisira cette langue universelle.
Habitée de ses expressions populaires et des habitants d’Yvetot.
Des phrases entendues dans l’enfance qui peupleront ses textes.

Une langue accessible à tous,
Dépouillée d’une poésie qui enlèverait la réalité de son récit,
De la vie telle qu’elle est, telle qu’elle fut vécue.
Une langue littéraire classique en somme.
Une langue pour raconter la vie.
« Dans cette perspective, il n’existe pas ce que l’on appelle l’intime, il n’y a que des choses qui sont vécues de façon singulière, particulière – c’est à soi et à personne d’autre que les choses arrivent -, mais la littérature consiste à écrire ces choses personnelles sur un mode impersonnel, à essayer d’atteindre l’universel, de faire ce que Jean-Paul Sartre a appelé du « singulier universel ».
À la fin de ce livre ; une interview par Marguerite Cornier.
Elle interroge l’auteure sur son rapport entre la réalité et l’imaginaire.
Tout est-il vrai ?
Comment choisit-elle ses souvenirs ?
Annie Ernaux ne choisit pas, c’est l’écriture qui choisit pour elle.
Elle y parle de « négociation en écriture ».
« Voilà, c’est ça, c’est le texte qui choisit.
Plus que la mémoire. »
Une occasion pour elle de parler de ce qu’à représenté Yvetot dans sa vie mais aussi dans son œuvre tout entière.
Sa réussite en tant qu’écrivaine apposant une rupture certaine avec son milieu d’origine.
Elle revient également sur ce qui a poussé son écriture.
Bourdieu.
« En fait, grâce à Bourdieu, je savais qui j’étais : une déclassée par le haut, une « transfuge de classe » comme je l’ai dit auparavant. Et c’est de lire Bourdieu qui m’a poussée à l’acte d’écrire (…) »
Par ses thèmes et ce besoin profond de se rapprocher de ce qui l’avait finalement éloignée de ses parents.
De comprendre enfin, que les parents ne sont pas condamnables de ce que la société dominante divise.
Du fossé social creusé par la culture qui manque.

La vie d’Annie Ernaux, son écriture,
Sont un mélange de cette vie réelle et d’écriture constante baignée d’imaginaire et de souvenirs déformés par le prisme de sa seule mémoire.

« Je pense tout le temps au livre que j’écris. C’est comme si… comme si je vivais sur deux plans. Je vis dans la vie réelle – comme là maintenant – et puis sur un autre plan, dans l’écriture du livre qui m’accompagne. C’est une obsession en fait. »

• L’extrait :

« Alors, est-ce que j’ai vengé ma race, comme je le proclamais dans ma chambre de la cité universitaire de Rouen ? C’était très ambitieux, peut-être un voeu, un cri en écho au cri de Rimbaud qui a écrit « Je suis de race inférieure de toute éternité ». Peut-être pourrais-je dire, cette fois comme Camus, que je n’ai pas ajouté à l’injustice du monde… »


• Mon avis :

Un livre absolument nécessaire si l’on aime Annie Ernaux.
Un texte émouvant dans lequel elle répond aux questions des habitants d’Yvetot.
Leur rendant un peu de leur ville et de cette mémoire dérobée.
Leur ouvrant les mystères de son écriture et leur offrant un morceau de son âme.
Lire ce texte, c’est mieux comprendre l’écrivaine, mais surtout ce processus d’écriture qui nécessite une exigence extrême pour retranscrire la véracité, la vérité de la vie.


• L’auteur :

Annie Ernaux

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© Babelio

 

*Agrégée et professeur de lettres modernes, Annie Ernaux a passé son enfance et sa jeunesse à Yvetot, en Normandie.

Elle est née dans un milieu social plutôt modeste: ses parents étaient d’abord ouvriers, ensuite petits commerçants. Annie Ernaux allait régulièrement à l’école et apprenait bien. Elle a fait ses études à l’université de Rouen.

Elle est successivement devenue institutrice, professeure certifiée puis agrégée de lettres modernes. Elle a enseigné au début des années 70 au collège d’Evire à Annecy.

En 1984 elle a obtenu le prix Renaudot pour un de ses ouvrages à caractère autobiographique, « La Place ».

Très tôt dans sa carrière littéraire, Annie Ernaux a renoncé à la fiction pour revenir inlassablement sur le matériau autobiographique constitué par son enfance dans le café-épicerie parental d’Yvetot.

À la croisée de l’expérience historique et de l’expérience individuelle, son écriture, dépouillée de toute fioriture stylistique, dissèque l’ascension sociale de ses parents (la Place, la Honte), son adolescence (Ce qu’ils disent ou rien), son mariage (la Femme gelée), son avortement (l’Événement), la maladie d’Alzheimer de sa mère (Je ne suis pas sortie de ma nuit), puis la mort de sa mère (Une femme), son cancer du sein (l’Usage de la photo, en collaboration avec Marc Marie).

Elle écrit sur (mais non pas dans) la langue de ce monde ouvrier et paysan normand qui a été le sien jusqu’à l’âge de dix-huit ans, âge auquel elle a commencé, à son tour, à s’élever socialement.

Elle a aussi écrit « L’Écriture comme un couteau » avec Frédéric-Yves Jeannet.
Son texte « Passion simple » a été créé au théâtre en juillet 2007 par la Compagnie des temps venus, interprété par Carole Bouillon et mis en scène par Zabo.

Publié en 2008, Les Années a obtenu le prix Marguerite-Duras, le prix François-Mauriac de la région Aquitaine et le prix de la langue française.

En 2017, elle reçoit le Prix Marguerite-Yourcenar décerné par la Société civile des auteurs multimédia, pour l’ensemble de son œuvre.

*Source : Babelio

• Références :

  • Retour à Yvetot
  • Auteur : Annie Ernaux
  • Maison d’édition : Mauconduit
  • Date de publication : 24.05.2013

2 commentaires sur “Retour à Yvetot

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