Miss Islande

• Le mood :

Si vous avez envie de Slow lecture, alors Miss Islande est le roman idéal.
Un livre d’une grande finesse qui explore une époque révolue qui fait pourtant écho à notre monde encore si conservateur en 2019.
Un roman du grand nord qui raconte ses poètes, ses femmes et ses homosexuels.


• L’histoire :

1942.
Son père l’a baptisée Hekla.
Comme le volcan, espérant chaque seconde en entendre le grondement et en sentir l’éruption.

1963, armée de sa machine à écrire et d’Ulysse de Joyce, Hekla prend un train pour Reykjavic.

Un homme l’aborde, cherchant des jeunes femmes pour se présenter à Miss Islande.
Hekla décline et continue son chemin vers le quartier des poètes de Reykjavík.
Elle veut écrire.

« C’est là que se trouve le Mokka, le quartier général des poètes de Reykjavìk, que les gens de chez moi décrivent comme des petits rigolos du sud surtout doués pour passer leurs journées à traîner dans les cafés. »

Au cours de son voyage elle revoit Isey, son amie d’enfance.
Les souvenirs de jeunes filles troublent la vision d’Isey maintenant mariée et maman.
Heureuse et pourtant souffrant de cette solitude d’être mère.

« Je me suis levée cette nuit pour boire un verre de lait, je suis restée un moment à la fenêtre de la cuisine à regarder la nuit. Elle était aussi à la fenêtre de sa cuisine, le regard plongé dans les ténèbres. Elle avait l’air vraiment abattue. Je voyais mon reflet dans la vitre, elle voyait le sien dans la sienne : deux femmes qui n’arrivent pas à dormir au coeur de la nuit. »

Isey rêverait de plonger au Mokka au milieu de la fumée des poètes qui boivent des cafés à la gnôle…mais elle se heurte à son landau…

« Tu te souviens, quand on avait six ans et que tu as noté dans un cahier, de ton écriture enfantine que la rivière avançait comme le temps ? Et que l’eau était froide et profonde ? C’était bien avant que Steinn Steinarr n’écrive Le temps et l’eau. »

Hekla part vivre quelques temps chez Davíd Jón John, son ami.
Un marin qui ne désire plus remonter sur un rafiot.
La peur du viol. La mer aux trousses.
L’homosexualité chassée encore dans un pays qui l’interdit.
Jón John rêve de devenir costumier dans un théâtre. Loin de cette vie sombre.

Isey ; son amie d’enfance se réfugie dans l’écriture.
Écrire ce qui se dit et ne se dit pas.
Imaginer sortir de la rue Kjartansgata.
Un monde où la TV n’est pas dans tous les foyers.
Où l’argent manque et les voyages ne sont que des rêves.
Elle achète des cahiers bon marché pour pouvoir écrire encore.
Son mari, Lydur, ne comprendrait pas.

Un monde où les librairies et les bibliothèques peuplent les rues.
Enlevant les habitants à leur rude vie.
Les femmes à leur condition.
Les livres de poésie plaisent tant, que les gens ne rendent plus leurs livres.

« Nous arrivons soudain au cimetière de la rue Sudurgata. La grille grince. La terre est un marécage en putréfaction, la mort est là, à chaque pas. La nature est une tombe ouverte. »

La ville et le cimetière semblent peuplés de poètes qui ne se manifestent pas…
Le bibliothécaire et elle se rapprochent.

« J’ai du mal à imaginer ce qui se passe dans sa tête. Il a de belles mains et je suis prête à coucher avec s’il me le demande. »

Les chapitres s’égrènent comme des brèves de vie.

« Je réfléchis. Dans le monde de mes rêves l’essentiel serait : du papier, un stylo-plume et le corps d’un homme. Quand nous avons fini de faire l’amour, il peut aussi remplir le réservoir d’encre de mon stylo. »

L’ombre d’Hekla plane sur son bibliothécaire qui rêve d’être édité.
Rongé par le talent de cette femme qu’il ne soupçonnait pas d’être une poétesse.
Écrasé par sa plume.

Une époque où pour une femme,
Il fallait choisir entre une vie normale et un mari
Ou bien l’écriture et une vie sans but.
Une époque où la femme se devait d’être jolie sans le droit de relever la beauté du monde et de l’écrire.

Hekla résiste,
Elle se relève la nuit, quand son bibliothécaire dort, pour lire le deuxième sexe.

« Un poète doit vivre dans l’ombre et faire l’expérience des ténèbres. Avec toi, on manque de ténèbres, Hekla. Tu es la lumière. »

 

 


• L’extrait :

« Pour mon frère, l’éternité est un tracteur qui dure et le temps est un agneau qu’on mène à l’abattoir en automne. »


• Mon avis :

Ce que j’aime dans la littérature nordique, c’est le temps.
J’aime ces livres qui nous transportent dans un temps introspectif.
Long et lent.
L’auteure égrène le nom des rues qui ne m’évoquent que le froid et que je peine à prononcer dans ma tête.
Mais je les aime ces noms bizarres.
Tout y est plus intense.

La langueur des mots qui évoluent dans la rudesse du climat nordique que l’auteure conjugue par des poètes pauvres, esseulés, dans un monde intolérant et violent.

Un très beau roman qui nous livre une vision d’une époque passée qui fait écho à notre époque encore conservatrice alors même que nous sommes en 2019…


• L’auteur :

Auður Ava Ólafsdóttir

 

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Copyright : © Service de presse L’Express

 

*Auður Ava Ólafsdóttir est une écrivaine islandaise.

Elle fait ses études en histoire de l’art à la Sorbonne de Paris et a longtemps été maître-assistante d’histoire de l’art à l’Université d’Islande.

Directrice du Musée de l’Université d’Islande, elle est très active dans la promotion de l’art. À ce titre, elle a donné de nombreuses conférences et organisé plusieurs expositions d’artistes.

« Rosa candida » (« Afleggjarinn », 2007) est son troisième roman après « Le rouge vif de la rhubarbe » (« Upphækkuð jörð », 1998) et « L’Embellie » (« Rigning í nóvember », 2004) qui a été couronné par le Prix de Littérature de la Ville de Reykjavík.

« Rosa candida » a reçu deux prix littéraires: le Prix culturel DV de littérature 2008 et le Prix littéraire des femmes (Fjöruverðlaun). Ce roman a été traduit en anglais, danois, allemand, néerlandais, espagnol. Il a également obtenu le Prix des libraires du Québec 2011.

Elle reçoit en 2016 le Prix littéraire des jeunes Européens pour son roman « L’exception » (« Undantekningin », 2012).

Audur Ava Ólafsdóttir vit à Reykjavík avec ses deux filles.


• Références :

  • Miss Islande
  • Auteur : Audur Ava Ólafsdóttir
  • Maison d’édition : Éditions Zulma
  • Date de publication : 05.09.2019

4 commentaires sur “Miss Islande

  1. J’apprécie beaucoup votre bienveillance et votre façon de analyser un roman, mais j’ en doute beaucoup qu’une fille de 6 ans dispose tellement d’expérience de vie et de conclure que «… que la rivière avançait comme le temps » C’est plutôt question d’expérience de vie…

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  2. Il est probable, je maitrise mal wordpress, mais cette frase j’ai la pris avec copy past en peu plus haut: « Tu te souviens, quand on avait six ans et que tu as noté dans un cahier, de ton écriture enfantine que la rivière avançait comme le temps » ( ce n’est pas votre frase mais une citation du livre en question). Merci toute de meme:-))

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