
• Le mood :
Roman aquatique.
De ces textes qui bouleversent parce qu’ils réveillent en nous ces moments de rupture,
Avec ce même sentiment flottant d’être au bord du vide,
Et de devoir sauter pour perdre l’autre.
• L’histoire :
Il pleut sur l’amour.
Sept ans plus tôt à Paris,
Marie laissait glisser sur ses joues des larmes de joie.
Cette fois à Tokyo, toujours dans un taxi,
Son mascara les recouvre de noir.
Y dessinant ce Canyon connu du nom de désespoir.
La rupture.
Le narrateur vient de quitter Marie,
Jeune styliste plasticienne.
Marie s’endort pleine de larmes
Le corps appelant l’unique et dernière jouissance.
Cette chambre d’hôtel où ils feraient l’amour pour la dernière fois.
« Mais combien de fois avions-nous fait l’amour ensemble pour la dernière fois ? Je ne sais pas, souvent. Souvent… »
Mais combien de dernières fois y-avait-il eu ?
« C’était une envie immémoriale et instinctive, que je voyais croître et se nourrir en moi par le simple enchaînement des gestes de l’amour que nous accumulions. Marie avait soulevé le bassin (…) »
Et qui souffre le plus ?
Celui qui part ou celui qui est quitté ?
Qui ressent la secousse, le vertige de la perte de l’autre ?
Du haut du 27ème étage,
Il sent le tremblement primitif de la Terre.
Séisme imminent.
Celui du cœur
Ou bien celui du corps ?
« Le jour se levait, et je songeais que c’en était fini de notre amour, c’était comme si je regardais notre amour se défaire devant moi, se dissiper avec la nuit, au rythme quasiment immobile du temps qui passe quand on en prend la mesure. »
La pénombre de la nuit fait émerger toute la profondeur et la nudité du sentiment
Dans l’immensité des buildings,
Monstres humains.
Nous sommes là, quelque part entre la fureur et le vertige d’aimer.
L’eau omniprésente.
Lui, presque nu sorti de cette piscine.
La pluie battante sur les corps frigorifiés de se laisser.
Marie, brûlante et dangereuse dans cette robe en soie bleue
Le sourire féroce.
« Nous nous aimions, mais ne nous supportions plus. Il y avait ceci maintenant, dans notre amour, que, même si nous continuions à nous faire dans l’ensemble plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable. »
Perdus dans les rues de Shinjuku,
Ils vivent leurs dernières heures au rythme des lueurs du ciel.
Les chaussettes ruisselantes d’eau givrée,
Buvant l’eau des trottoirs.
Ils ne retrouvent plus l’hôtel.
Retardant la lente agonie de leur amour qui se meurt…
L’impossibilité d’aller vers Marie,
De l’embrasser,
Comme si, de la retenue de l’autre,
La séparation pouvait être évitée.
Toussaint embrase ces cœurs en flaques,
Et nous fait revivre les dernières heures
De nos amours anciennes.
• L’extrait :
« Les heures étaient vides, lentes et lourdes, le temps semblait s’être arrêté, il ne se passait plus rien dans ma vie. Ne plus être avec Marie, c’était comme si, après neuf jours de tempête, le vent était tombé. Chaque instant, avec elle, était exacerbé, affolant, tendu, dramatisé. »
• Mon avis :
Je découvre Jean-Philippe Toussaint,
Plasticien des mots et des ambiances avec le cycle romanesque de Marie avec Faire l’amour.
Grâce à Sylvia Rozelier, qui me l’a déposé dans les mains au détour d’une librairie.
Merveille acide et aquatique.
Les personnages apparaissent sans qu’on ne sache presque jamais rien sur eux.
Ni leur histoire ni leur passé, ou si peu.
Les détails des lieux et objets envahissent les pages
Ne laissant qu’une certitude au lecteur.
Les seules pensées de Marie et du narrateur à cet instant
Fondent leur histoire et la fin d’un amour dont ils tentent de sortir.
Le reste n’est que brouillard.
• L’auteur :
Jean-Philippe Toussaint

*Jean-Philippe Toussaint est un écrivain et réalisateur belge de langue française.
Il est le fils d’Yvon Toussaint, journaliste au Soir et de Monique Toussaint, fondatrice de la libraire Chapitre XII à Bruxelles et le frère de la productrice de cinéma Anne-Dominique Toussaint (1959).
Il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (1978) et titulaire d’un D.E.A. d’histoire contemporaine.
Jean-Philippe Toussaint obtient en 1986 le prix littéraire de la Vocation pour son premier roman publié « La salle de bain ». Il est lauréat de la Villa Kujoyama en 1996.
Il est l’auteur d’une dizaine de romans, tous publiés aux éditions de Minuit, qui se caractérisent par un style et un récit minimaliste, dans lesquels les personnages et les choses n’ont d’autres significations qu’eux-mêmes.
En 2002, il commence « Le Cycle de Marie », intitulé « Marie Madeleine Marguerite de Montalte », en quatre volets : « Faire l’amour » en 2002 ; « Fuir » en 2005, qui obtient le prix Médicis du roman français la même année ; « La Vérité sur Marie » en 2009, qui obtient quant à lui le Prix Décembre en 2009 et le prix triennal du roman, décerné par la Fédération Wallonie-Bruxelles, en 2013 ; et le quatrième volet « Nue », en 2013.
Il adaptera en 2016 pour le théâtre ce cycle littéraire dans un spectacle mixte mêlant lectures, vidéos et musiques originales composées et jouées sur scène par The Delano Orchestra.
Ses recherches artistiques le conduisent aux arts plastiques et à la photographie : depuis 2000, il expose régulièrement en Europe (Belgique, France) et au Japon. Jean-Philippe Toussaint est aussi l’auteur d’articles et de textes courts parus dans la presse quotidienne (Libération) ou des revues en ligne (bon-a-tirer.com).
En 2014, il succède à Henry Bauchau au fauteuil 9 de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (ARLLFB).
*Source : Babelio
• Références :
- Faire l’amour
- Auteur : Jean-Philippe Toussaint
- Maison d’édition : Éditions de minuit
- Date de publication : 17.09.2009