Fils du feu

• Le mood :

L’un des plus grands livres de ma vie.
Décrire la poésie de Guy Boley serait le réduire. Tout en lui résonne l’orfèvrerie des mots, la forge des images, le royaume des souvenirs et des mythes.
La plus grande histoire d’amour entre une mère et un fils que j’ai pu lire.


• L’histoire :

Je pourrais m’asseoir dans le coin d’une pièce
Et vous faire la lecture de chaque passage.
Appuyer chaque mot comme on trace un trait au pinceau.
J’ai voulu lire un extrait à ma mère et,
Tellement traversée, je ne me suis pas arrêtée.

Il y a ces livres qui cognent si fort qu’ils s’imprègnent en vous.
Les images de l’auteur devenant les vôtres.
Ses souvenirs faisant à présent partie des vôtres.
Je ne savais pas encore que l’on pouvait aimer si fort,
Un livre.

——-

Le père et Jacky martellent le fer chauffé à blanc.
Leur poitrail se soulevant.
L’enfant sait alors que ces deux là ne connaissent pas les Dieux de l’Iliade,
Ceux-là même qui maîtrisent le Feu.

« À quoi bon s’inventer des Dieux de pacotilles quand on en a sous la main et que l’on parvient, à coups brefs et précis, à leur donner la forme que l’on veut.»

Fils de forgeron.
Fils du feu et fils de roi.
Ce père si immense qu’il n’aura de cesse de le peindre.
Et Jacky : « Ma première statue grecque. Mon premier grand amour. »

Cet homme était arrivé un matin sur sa moto.
Trois années de travail du fer
Sans plus de mots.
La limaille ayant remplacé tout langage.

« Non, Jacky était un vrai mystère. Un taiseux taciturne au visage sans lumière. Un humain sans parole. Un grand sac de secrets. Ma première statue grecque. Mon premier grand amour. »

L’enfant émerveillé devant l’arbalète du père qui bat le fer.
Un père endeuillé pourtant.
Les Dieux ont décidé pour eux,
Un seul de ses deux fils devait lui survivre.

« Un père en deuil, comblé.
Mes peintures sont ses couronnes.
Je n’ai jamais dansé qu’à l’intérieur de lui. »

Les souvenirs de l’enfant refluent.
Le maquillage des adultes.
Leurs rires faux et les mascarades.
Cet enfant qui voyait les hommes déjà morts.
Leur quotidien morne rythmé d’une répétition éternelle.

Les étendages de linge blanc
Par les femmes du village deviennent ses aventures mythologiques.
Un vent d’Est qui les tourmente.
Il nous raconte ces scènes qu’il peindrait plus tard.
Ces ménagères qu’il imaginait Walkiries coiffées de bigoudis.

« Les pinces à linge volaient et les injures fusaient ; c’était la course aux draps, le sprint vers les slips, le footing aux culottes, la ruée sur les chaussettes. »

Ces amazones si courageuses.
Celles qui perdent leur enfant et ont le sein au vent.
Il se souvient de Marguerite-des-oiseaux au cul de jument comtoise.
Oui, celle-là même qui chaque soir portait dehors une assiette de jambon purée
En appelant son fils défunt à venir manger.

« (…) il s’inscrira dans le ciel un rectangle de vide, une absence, un silence plus lourd que tous les draps du monde et plus vaste que ces ventres de femme où tous les chevaux du roi pourraient y boire ensemble. »

Elle ne serait pas la seule à pleurer son enfant.
Il sait.
Son petit frère est mort lui aussi.
Et l’absence borde chaque soir le lit de l’enfant disparu.
Alors comment exister dans un royaume qui tue les dieux et les titans ?

« Maman me faisait un bisou pour me souhaiter une bonne nuit, puis elle se penchait sur le lit du bas et elle embrassait l’oreiller de mon petit frère en murmurant quelques mots que je n’ai jamais compris mais que je subodore être quelque chose comme des paroles d’amour serties, ou fleuries, de serments de proches retrouvailles.
Et mine de rien on s’y habitue, à vivre avec un mort-vivant. »

L’auteur écrit ce monde de la douleur sourde et écrasante d’une mère,
Qu’un père même ne peut atteindre.
La folie qui embrase le coeur,
Le ventre qui seul dicte à la mère de tenir en vie, encore, ce fils évanouit.

Alors, ce petit frère mort continuera d’avoir des baisers chaque soir.
Et dans un acte fou d’amour, un fils aîné plongera dans le plus grand des mensonges.
Écrivant chaque semaine à sa mère, la tenant en vie,
Le roman secret de ce qu’aurait dû être leurs vies…


• L’extrait :

« Il a compris, cet enfant que j’étais, dans des odeurs de chiottes et dans la peur des grands, avec cette évidence gracieuse dont doivent être aspergés tous les illuminés, la solitude des hommes et leur quête insensée. Vanitas vanitatum de la stérilité. Il ignorait encore, évidemment, qu’il prendrait des amants pour combler ce grand vide ; qu’il échouerait. »


• Mon avis :

Je n’exagèrerai rien en disant que ce livre est sans doute l’un des plus immenses de ma vie.
Avec Guy Boley chaque mot est un son.
Qu’ils viennent de la forge, des drapés flamands ou des fleurs qui bourgeonnent.
Je n’ai jamais lu plus grande histoire d’amour, et j’en suis, encore un mois après, totalement bouleversée.
Cette histoire est celle de l’auteur.
L’oeuvre d’un Titan. Un vrai.


• L’auteur :

Guy Boley

Guy Boley
Source photo : Babelio

Guy Boley a été maçon, ouvrier d’usine, chanteur des rues, cracheur de feu, acrobate, saltimbanque, directeur de cirque, funambule à grande hauteur, machiniste, scénariste, chauffeur de bus, garde du corps, et cascadeur avant de devenir dramaturge pour des compagnies de danses et de théâtre. Il compte à son actif une centaine de spectacles joués en Europe, au Japon, en Afrique ou aux États-Unis.

« Fils du feu » (2016), d’inspiration autobiographique, est son premier roman, lauréat de sept prix littéraires (grand prix SGDL du premier roman, prix Georges Brassens, prix Millepages, prix Alain-Fournier, prix Françoise Sagan, prix (du métro) Goncourt, prix Québec-France Marie-Claire Blais).

En 2018, il publie « Quand Dieu boxait en amateur« .

Source : (*Source : Babelio)

• Références :

  • Fils du feu
  • Auteur : Guy Boley
  • Maison d’édition : Grasset
  • Date de publication : 24.08.2016

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