La femme rompue

• Le mood :

Un recueil de trois nouvelles sur trois femmes en proie à une crise existentielle.
On y parle de mort des idéaux, de ce que vieillir signifie pour soi et dans le couple ; du temps qui éloigne des sentiments passionnés, des névroses, de la rage, d’une femme bafouée…
Simone de Beauvoir parcours les âmes et nous donne à voir trois vies bouleversées dans leurs certitudes.


• L’histoire :

Ce livre est donc un recueil composé de trois nouvelles sur trois femmes d’âges différents.
La soixantaine pour l’une, la crise de la quarantaine pour l’autre et l’entrée dans la cinquantaine pour la dernière. :

  • La discrétion :

Monique. Une intellectuelle reconnue et vieillissante dont le mari, André, est un scientifique terrassé par la peur de ne plus avoir d’idée.
Elle aime à regarder son époux.
Elle est heureuse.
Leurs mots brefs échangés.
Son départ chaque matin.
Qu’elle contemple de sa fenêtre, le voyant disparaître dans les rues.

« C’est peut-être dans ces instants où je le regarde s’éloigner qu’il existe pour moi avec la plus bouleversante évidence (…) »

Elle est là. Inébranlable pour son amour.
Je ris et m’amuse des commentaires et des réflexions de Monique.
Elle ne veut pas vivre avec un vieillard.
André devient hypocondriaque.

Il y a pourtant entre eux, ce lien si rare que l’amour nous offre parfois.
Connaître l’autre dans le plus infime de ses détails.
Devancer ses pensées, ses mots. Lire en lui.

« J’ai découvert la douceur derrière moi d’avoir un long passé. »

Mère absolue.
Elle n’a vécu que pour le plaisir de voir Philippe, son fils, devenir ce qu’elle désirait si ardemment pour lui.
Un grand intellectuel de gauche.
Puis le drame.
La haute trahison du fils.
L’arrêt de sa thèse pour rejoindre le monde des affaires. La perte de cette fusion, la déception, le déchaînement de rage, d’incompréhension.
Cette horreur de l’abandon.

Monique brûle. Se bute.
Toutes ses convictions sont ébranlées.
Alors la vie ne serait pas immuable ?
L’amour pour un fils pourrait disparaître ?

Elle ne comprend pas qu’André se désolidarise de sa colère.
Seule.
Elle rejette l’inertie du cœur.
Elle souhaite façonner les hommes de sa vie.

« C’est si fatiguant de détester quelqu’un qu’on aime. »

  • Le monologue :

Un monologue terrible qui sonne comme une vengeance.
Une femme névrosée, perdue, hystérique.
La ponctuation vole, il n’y a plus que les mots qui s’enchaînent.
Elle crie contre cette mère frivole, mal aimante, violente, sans cœur, qui ramenait des hommes et s’exposait sexuellement devant sa fille.
Divorcée on lui a retiré la garde de son fils.

Alors elle crache comme un fauve en cage.
Se raconte quelle mère merveilleuse elle aurait été.
Elle, qui a complètement débloqué !

Une froideur terrible face à la mort de sa fille qui s’est suicidée.
La folie. La vraie.

« Ça se drogue ça s’entre-baise ça ne respecte rien. Je vais leur vider un seau d’eau sur la tête. Ils sont capables de venir me casser la gueule je suis sans défense il vaut mieux refermer la fenêtre. »

Une satire sociale implacable.

  • La femme rompue :

Une femme dont les filles sont maintenant adultes.
Elle a offert sa vie aux autres.
Vécu dans l’ombre de son mari qui, à lui seul, représentait son tout.

Elle est la victime de son absolue dépendance à la vie conjugale.
Rien ne peut changer.
L’amour est infatigable. Sans courant.
Mais étrangement, son mari rentre de plus en plus tard.

« À quoi ça rime-t-il de lutter contre la maladie et la souffrance si on traite sa propre femme avec tant d’étourderie ? C’est de l’indifférence. C’est de la dureté. »

Alors elle peste ! Ose demander s’il y a une autre femme dans sa vie.
Oui. Il la trompe.
Elle s’appelle Noëllie.
Il ne la quittera pas. Mais il n’acceptera pas d’abandonner Noëllie.

« Il m’a suffi, je n’ai vécu que pour lui. Et lui, pour un caprice, il a trahi nos serments ! »

Commence alors le temps des tortures.
Elle plie. Accepte. Puis les cris.
Les doutes. Les pleurs. La suspicion. L’acceptation contrainte.
Elle tentera tout sans jamais rien refuser à son mari.
Qui est l’autre ?
Qui est-elle ?

« Je ne sais plus rien. Non seulement pas qui je suis mais comment il faudrait être. Le noir et le blanc se confondent, le monde est un magma et je n’ai plus de contours. Comment vivre sans croire à rien ni à moi-même ? »

Le mensonge ramène avec lui la réalité qu’elle avait pris soin d’oublier.


• L’extrait :

« – Tu as eu tort de croire que les histoires d’amour duraient. Moi j’ai compris ; dès que je commence à m’attacher à un type, j’en prends un autre. 

  • Alors tu n’aimeras jamais !

Non, bien sûr. Tu vois où ça mène. »


• Mon avis :

J’avais délaissé Simone depuis ma dernière lecture d’elle, Mémoire d’une jeune fille rangée, qui a compté parmi mes premiers émois de jeune fille.
Quelle bêtise.

Ce recueil est délicieux.
Ce talent de l’écrivaine d’arriver à investir trois corps, trois esprits, trois histoires et trois langages différents est absolument remarquable.

Il ne s’agit pas de nouvelles mais presque de petits romans.
Apportant chacun sa part de réflexion sur nos propres vies.
Nos propres illusions, lâchetés, névroses.

Et surtout cette vision acide que l’auteure porte sur la dépendance d’une femme à l’homme.
Ces trois récits sont aussi les leçons que l’on pourrait tirer de ces vies.

Et les vagues qui assaillent nos certitudes les plus profondes sur ce que l’on pensait indéfectible.
On retrouve bien ici la flamme féministe qui animait l’auteure.
Mais elle ne se contente pas seulement de sonder l’esprit féminin, elle sonde aussi ceux des hommes et leurs mécanismes.


• L’auteur :

Simone de Beauvoir

*Simone de Beauvoir est née en 1908 à Paris.
Elle a suivi des études de lettres puis a passé le concours de l’agrégation de philosophie en 1929. Elle y est reçue deuxième, juste derrière Jean-Paul Sartre rencontré l’année précédente à la Sorbonne. Simone de Beauvoir enseigne quelques années puis se fait connaître en 1949 avec la publication de son essai féministe et existentialiste Le Deuxième Sexe. Son œuvre alterne ainsi essais, romans (dont Les Mandarins publié en 1954 et couronné par le Prix Goncourt), et récits autobiographiques (comme Mémoires d’une jeune fille rangée en 1958, La Force des choses en 1963 jusqu’à La cérémonie des adieux en 1981).

Elle participe également aux côtés de Jean-Paul Sartre à la création de la revue existentialiste Les temps modernes en 1945. Considérée par les mouvements féministes comme une pionnière de la libération de la femme, toute sa vie a été la démonstration que l’on peut être une femme et mener une existence indépendante et libre.

Ainsi sa relation avec Jean-Paul Sartre en est l’illustration car si elle répond à « un amour nécessaire », elle n’y est pas réduite, Sartre comme Beauvoir prônaient en effet des « relations contingentes ». Leur histoire légendaire a duré jusqu’à la mort de Sartre en 1980. Six ans plus tard, Simone de Beauvoir décède et est enterrée dans la même tombe que son compagnon de route, dans le cimetière de Montparnasse.

* Source : France Culture


• Références :

  • La femme Rompue
  • Auteur : Simone de Beauvoir
  • Maison d’édition : Folio
  • Date de publication originelle : décembre 1967

6 commentaires sur “La femme rompue

  1. J’ai comme toi lu « Mémoires d’une jeune fille rangée » il y a des années et je l’avais adoré. J’avais espoir depuis de continuer avec « La force de l’âge » mais la taille du roman m’a toujours un peu découragée.
    Il faudrait pourtant que je m’y remette, car je sais comme toi que je passerais un excellent moment de lecture !

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    1. Mais ouiiii ! Mais je suis comme toi. Par exemple je me suis aventurée il y a deux jours à la librairie en me disant « bon tu vas acheter Deuxième sexe. »
      Et puis j’ai vu l’énorme pavé et me suis dit qu’avec tout ce que j’avais à lire j’allais remettre cette lecture à plus tard.
      Alors que c’est géniiiial ahah !
      Bon l’avantage avec celui-ci c’est qu’il n’est pas long 🙂

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      1. Bon ceci dit, pour avoir commencé le Deuxième sexe en khâgne, ça n’a quand même rien à voir avec ses romans. J’étais vraiment motivée, mais j’avoue que j’ai été perdue au bout de cinquante pages après une analyse poussée du sexe des mollusques… J’aurais sans doute dû continuer un peu, mais je n’ai pas eu le courage !

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