
• Le mood :
Une œuvre qui sonne comme un écho universel. À lire si vous avez l’amour absolu. Si vous avez déjà vécu le vertige de l’absence. La chute du sentiment.
Un texte sur l’amour entier qui démantèle les insuffisances de l’homme, ses petitesses, ses mesquineries.
Un texte sur la rupture, l’acceptation. Sur le bonheur aussi. Une merveille.
• L’histoire :
« Je ne t’aime pas quand tu me fais des sermons ; tu me donnes envie de bailler, et, si tu me fais des reproches, c’est que tu m’aimes moins : tu me compares à d’autres. »
1933. Marcelle Sauvageot a la tuberculose.
Soignée dans un sanatorium, elle rêve de son amant qu’elle aime tant.
Jusqu’à ce jour où elle reçoit une lettre de rupture.
« Je me marie…. Notre amitié demeure… »
Alors elle prend la plume.
Éprouvant la tiédeur de l’homme face à son amour absolu.
Un texte déchirant mais d’une dignité incroyable.
Chaque mot nous renvoie à nos propres sentiments.
Cette femme en perdition. Perte d’amour.
Perte de vie aussi.
L’approche de la mort lui offre cette insolence.
Une héroïne moderne qui pose ses mots sur cet homme.
Elle se bat contre les turbulences de cet amour qui la ronge.
De cette amitié qu’il lui offre et qu’elle refuse.
Elle y détruit les insuffisances de cet homme.
Sa petitesse. Avec cet œil acerbe et aiguisé qui déshabille.
Son égoïsme face à la souffrance et à la maladie.
Mais oui…quel ennui de la voir mourir quand d’autres sont bien plus vivantes !
(Oui j’ai eu terriblement envie de l’étrangler !)
Parce qu’une femme se doit d’aller bien !
Combattre toujours, ne pas avoir d’humeur.
Servile, elle devrait n’être heureuse que par le spectre de son homme.
Elle doit espérer qu’on l’aime sans geindre, ou au moins feindre de le croire.
« Vous m’avez expliqué comment vous reconnaissiez l’amour d’une femme : « sans droits et sans exigences. » »
Parce qu’une femme a cette intuition profonde des choses…
Au fond, elle le savait… Nous savons.
« Depuis mon retour, ses lettres m’ont déçue et laissée inquiète : vraiment je crois qu’il ne m’aime plus. »
Mais laisser partir le passé est insoutenable.
Alors il faut oser l’affronter. Le regarder avec cet œil nouveau.
Cet homme, l’aurait-elle inventé ?
Puis c’est la culpabilité.
Celle de ne pas avoir su trouver les mots.
Mais l’auraient-ils retenu ?
Se donner entièrement c’était se perdre elle-même.
Elle savait qu’un jour, elle aurait besoin d’elle.
Seule à s’étreindre dans ses propres bras.
« C’est vrai que je suis maladroite ; je ne sais pas exprimer un sentiment ; dès que j’en ai dit quelques mots, je me moque de moi, je me moque de l’autre, je détruis par une phrase ironique l’impression produite. »
Marcelle se pose sur le fil de l’amour.
Au bord de ce précipice que l’on sait d’avance infernal.
Parce qu’il n’y a plus rien après l’absence.
« On voit d’avance toutes les phases douloureuses par où il faudra passer et on sait qu’après c’est le vide. »
« Dans la journée ou le soir, il y a des moments de calme, pendant lesquels on est étonné de ne rien se sentir, et l’on guette la phrase (…) »
Pourtant malgré cette lucidité, elle en garde la tendresse.
Elle raconte son désir ardent de l’avoir auprès de lui.
Puis la révolte. Comment croire encore ?
De qui douter ? De lui ? De l’amour ?
« Dois-je douter de l’amour ou de vous ? »
Malgré tout, c’est ainsi qu’elle l’aurait aimé.
Qu’elle l’avait choisi.
« Celui pour qui l’on est fait, n’est-ce pas celui pour qui l’on accepte d’être fait ?
Celui-là, pour moi, eût pu être vous. »
Un texte face à la mort.
Qu’elle aurait aimée sans tourment, avec cette douce idée de celui qui vous attend…
Pour moins souffrir, ne faudrait-il pas ne plus rien attendre ?
« Laissez-moi. »
Elle meurt peu de temps après. À l’âge de 34 ans.
• L’extrait :
« Je souffre que tu aies ces travers, mais je ne voudrais pas que tu changes. »
• Mon avis :
Une œuvre sur l’amour et l’absolu.
Une œuvre qui ne ment pas.
Est-ce ces dernières semaines qui rendent à Marcelle Sauvageot cette incroyable liberté des mots ?
Cette justesse dans l’expression des sentiments ?
Une oeuvre d’autant plus émouvante qu’elle sera l’unique de l’écrivaine.
Elle écrit la sobriété de la tristesse devant l’abandon. L’absence.
Un texte digne devant le départ inévitable de l’autre.
Devant son insuffisance, sa faiblesse. Cet homme qui ne supporte pas d’être vu, découvert. Il lui faut briller aux yeux des femmes sinon rien.
Elle y décrit cette capacité à sentir et vivre entièrement le bonheur.
Elle parle avec une lucidité folle de l’avilissement de la femme par l’homme.
De la toute puissance.
Je crois que je n’avais jamais lu un texte qui résonne si vrai. Si fort.
Se garder tout contre soi. Ne jamais se perdre. Peut-être est-ce ça, la clé.
Ce livre est accompagné d’une préface très belle écrite par Elsa Zylberstein et d’un épilogue de Charles du Bos de 1965 qui analyse avec brio les mots de l’auteure.
• L’auteur :
Marcelle Sauvageot
*Marcelle Sauvageot, née en 1900, à Charleville dans les Ardennes, professeur agrégé de littérature proche des surréalistes sans jamais les rallier, elle fut l’auteur d’une œuvre unique, dans tous les sens du terme. Elle meurt à 34 ans, emportée par la tuberculose.
*Source : Éditions Phébus
• Références :
- Laissez-moi
- Auteur : Marcelle Sauvageot
- Maison d’édition : Éditions Phébus
- Date de publication : juillet 2012