Le Lambeau

• Le mood :

De ces lectures qui sont comme un recueillement. On les lit en silence. Besoin de rien d’autre que le texte et soi. Un texte puissant sur la reconstruction d’un homme à qui l’on a volé un morceau de visage mais également l’homme à qui appartiennent ses souvenirs.


• L’histoire :

« (…)et j’ai senti, là, par-dessus lui, la solitude d’être vivant. »

Ce livre est une blessure.

Je l’ai commencé avec l’appréhension et la peur qui nous rendent souvent idiots.
Je le finis sur des frissons qui n’ont pas de nom.
Des souvenirs que je préfèrerais oublier. Cette fameuse nuit, d’effroi, à trier les noms. À attendre un appel.

Ce livre est lourd.
De son poids et de sa taille je peinais à lire sans avoir mal aux mains, aux poignets.
Mais on ne flanche pas avec les mots de Lançon. On encaisse.
Le souffle court. En apnée.

« J’aurais aimé « finir » ma vie antérieure sur des phrases un peu plus calmes, un peu plus drôles, un peu plus intéressantes, même si surtout pas définitives. (…) de toute façon quand la suite survient par accident, on n’a pas le temps de préparer son costume, ses gestes et ses mots de la fin. »

Le Lambeau c’est chaque détail d’avant Charlie.
Ces choses comme des riens insignifiants.
Ces riens qui deviendront alors tout dans l’esprit de la victime, du malade.
Parce qu’il cherche le sens, les images. Il cherche ses morts, puis les revoit.
Vivants, l’instant d’avant.

La veille ; une pièce de Shakespeare.
Un dernier mot dans son carnet : « Rien de ce qui est, n’est. »
Puis Charlie. Wolinski, Cabu et leurs pitreries d’enfants turbulents.
Les dessins moqueurs pendant la conférence.
L’insouciance et la mort qui s’approchent à coup d’enjambées violentes.
Ce souffle des tueurs et leurs jambes noires.

« Ai-je voulu cette histoire, que l’attentat a détruite ? Ou l’ai-je rêvée jusqu’à ce qu’il me réveille ? Je n’en sais rien. »

L’horreur. S’accrocher à des détails ; son livre Blue Note et ses jazzmen.
Survoler la mort.

« Il faut rejoindre les morts pour savoir jusqu’où ils sont allés. »

Ce livre c’est le récit d’une lente réparation.

« Je suis agacé par les écrivains qui disent écrire chaque phrase comme si c’était la dernière de leur vie. C’est accorder trop d’importance à l’œuvre, ou trop peu à la vie. »

Un huit clos dans une chambre. Une pièce comme un tombeau dont on renaît. Différent.
Revenir sur chaque détail. Refaire le film.

« L’irruption de la violence nue isole du monde et des autres celui qui la subit »

Leur donner un sens dans la suite.
Les ancrer dans un temps qui allait les assassiner.
Des mondes devenus parallèles. Ce qui fut et ce qui est.
Ce qui a été et ne sera plus jamais.

« Je donnerais cher pour que les morts qui m’accompagnent puissent écrire ce qu’ils vivent ou ne vivent pas de là où ils sont, tels qu’ils sont. Je voudrais connaître leurs précis de décomposition, leurs rires pleins de terre (…) »

Ce livre c’est aussi des rires.
Lançon et son regard de gosse sur le monde, les gens.
La mâchoire en cratère, en lambeaux.
Mais la plume qui rit de ses mots.
C’est les mots croisés et Flaubert en post anesthésie.
C’est aussi Bach, Proust et Kafka.
C’est Chloé et sa chirurgie qui deviennent un roman de chevalerie.
C’est des longueurs de couloir.
Ses caprices de patients. Et son courage si grand.

« Les romans de chirurgie sont des romans de chevalerie. »

Ce livre, c’est déposer l’enfance à ses pieds.
Accepter de revenir, de rebâtir.


• L’extrait :

« Je suis devenue une étroite carotte glacière creusée par l’attentat dans leurs vies. »


• Mon avis :

J’ai eu beaucoup de mal à écrire cet article.
J’ai eu beaucoup de mal à accepter de rentrer dans ce livre. Quarante pages pendant lesquelles mon cerveau refusait. On se protège sans doute de ce que l’on redoute de lire.

Ce livre est incroyable. Je me demande encore comment l’auteur a réussi à reconstituer tant de détails de sa vie. Méticuleusement.
Chaque détail de chaque personne qui a croisé sa chambre, sa vie, ses souvenirs.
Cette lente reconstitution non pas seulement physique mais de l’homme. De tout ce et ceux qui le composent.

Chaque étape, chaque épiphénomène devient un événement.
Bref, il n’y a rien d’autre à en dire qu’il faut le lire.
Lecture nécessaire et monumentale.


• L’auteur :

Philippe Lançon

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*Philippe Lançon, grand reporter, est né en 1963. Il travaille aujourd’hui pour Libération, Charlie Hebdo et la revue XXI.

Passionné de littérature hispanique, il publie en 2004 « Je ne sais pas écrire et je suis un innocent », sous le pseudonyme de Gabriel Lindero.
Il a reçu en mars 2011 le prix Hennessy du journalisme littéraire et en 2013, le Prix Jean-Luc Lagardère du journaliste de l’année.

Philippe Lançon a emporté la bourse de la découverte 2012 de la Fondation Princesse Grace pour « Les îles » (Lattès), premier roman publié sous son patronyme.

Le 7 janvier 2015, il est gravement blessé au cours d’un attentat contre Charlie Hebdo, ce qui l’amène à subir juqu’à 13 opérations de la mâchoire. En 2018, il raconte cette tragédie dans un livre intitulé « Le lambeau ».

 *Source : Babelio


• Références :

  • Le lambeau
  • Auteur : Philippe Lançon
  • Maison d’édition : Éditions Gallimard
  • Date de publication : avril 2018

2 commentaires sur “Le Lambeau

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