
• Le mood :
Une enquête sur les traces de Van Gogh ça vous dit ?
Alors revêtez votre trench et vos semelles les plus silencieuses, c’est une quête de la vérité qui nécessite patience et silence. Le moindre bruit, le moindre détail sera capital.
• L’histoire :
Nous pensons tout savoir de Van Gogh. Mais que savons-nous au juste ?
Ce que l’on a bien voulu nous en dire. Déformations, mythes populaires, petits arrangements avec la réalité…
Tellement habitué à voir ses toiles, notre regard s’est lissé.
C’est aujourd’hui, et je vous l’assure, avec un regard tout autre que je contemplerai chacune de ses œuvres. Me sentant plus proche, en possession d’un secret que l’auteure nous offre.
Comme un message qui nous dirait :
Regardez-mieux. Regardez vraiment.
Je crois qu’avant, je ne voyais pas.
Bernadette Murphy part sur les traces de Vincent Van Gogh. Des années de recherche, de patience, de rencontres.
Aucun détail ne lui échappe. Aucun personnage ne tait son nom, qui, entre 1888 et 1890 aurait pu connaître Vincent.
Elle entame un projet qui la mènera où elle ne pensait jamais aller.
La passion la poussera à établir une base de données de plus de 15 000 personnes résidant près de chez Vincent Van Gogh à Arles.
Tout connaître sur leur vie. Les habitudes. Le boucher, les voisins, les amis…
Connaître chaque personne, chacun des liens : amicaux, filiaux, géographiques…
Des détails infimes la mèneront à des réponses qu’aucun grand spécialiste jusqu’alors n’avait su élucider.
Je me prends au jeu dès les premières pages. Je décide de la suivre cette auteure un peu dingue.
Je sais qu’elle a des choses à nous dire et surtout, qu’elle ne lâchera rien.
Bernadette entreprend l’enquête en commençant par les archives de l’Hôtel Dieu à Arles, lieu où a résidé Van Gogh de 1888 à 1889.
Peau de chagrin, peu de choses. Mais des détails qui auront plus tard, toute leur importance…
Elle découvre un registre où apparaissent des termes inconnus alors.
« FS » pour filles soumises, comprenez filles de joie.
« Maison de tolérance », comprenez bordels. Et à Arles il n’y en avait pas qu’un !
« Limonadier » pour tenancier de Maison de tolérance.
Je souris avec l’auteur de tant de belles formules pour maquiller la misère.
L’auteure y cherche Rachel. Cette prostituée à laquelle, cette fameuse nuit du 23 décembre 1888, Van Gogh aurait fait don de son oreille après se l’être coupée.
Qui est Rachel ? Pourquoi elle ? Pourquoi cet acte qui nous semble si étrange…
Cette folie dont on nous parle, l’était-elle réellement ? De quel trouble souffrait-il ?
Était-elle à l’origine de sa peinture ou bien sa peinture existait-elle bien avant ses troubles ?
Et cette oreille. Était-elle vraiment entière ?
De nombreux spécialistes ont écrit à ce sujet. De nombreux témoignages sont restés telles des vérités absolues.
Pourtant, ils divergent tous.
Parfois on nous parle d’un morceau d’oreille, d’un lobe, puis de l’oreille entière…
Quel intérêt des proches auraient-ils eu à mentir ou déformer cette réalité ?
Qui pouvait bien l’avoir vue réellement après « l’accident » ?
Pour remonter toutes ces pistes, l’écrivain doit reconstituer Arles et ses habitants.
Reconstituer le plan de la ville et le quartier de la Place Lamartine avant les bombardements de 44, où résida Van Gogh dans sa petite Maison Jaune ?
Lire et relire les centaines de lettres que Vincent échangea avec Théo, son frère, Jo, sa belle-sœur, le Docteur Rey qui le suivait à Arles, ses amis peintres.
Rien ne sera laissé au hasard. Toute information sera recoupée avec une autre.
Bernadette Murphy découd la tapisserie chaque nuit, telle Pénélope. Non pas pour attendre son Ulysse mais pour le retrouver. Un fil pourrait suffire. Celui qui la mènerait à la vérité.
Une dévotion incroyable et hors du commun.
« Reconnaître et étoffer les vies des gens que Vincent a peints. »
Vincent est né aux pays bas, d’un père pasteur.
Dans les troubles psychiatriques qui s’éveilleront chez Vincent, le mysticisme et la religion tiennent une très grande place.
Vincent porte le prénom d’un frère mort avant lui.
Y’a-t-il eu un poids psychologique ? Cette charge aussi silencieuse eut-elle été.
Théo, son frère.
La correspondance de toute une vie.
Tel un père nourricier, il subviendra chaque jour de sa vie à ses besoins.
N’ayant qu’une obsession en tête.
Que Vincent soit heureux.
Qu’il accomplisse son art.
Théo prospère dans son métier de marchand d’art quand Vincent, encore jeune, est incapable de se soumettre aux conventions. Colères, irritabilité. Le travail lui est impossible.
Vincent voue un culte au protestantisme. Il souhaite devenir pasteur.
Effrayés par son extrémisme et son zèle, même la paroisse le congédiera.
Des histoires sentimentales désastreuses.
Obsessionnel, Vincent faisait fuir l’objet de son désir.
Et s’il s’agissait de maladie mentale héréditaire dans sa famille ?
Sur les 6 enfants deux se suicideront, deux mourront dans un asile, dont Théo…
Vincent travaillera avec Théo quelque temps à Paris.
Il échange des toiles avec des contemporains pour nourrir la collection de son frère.
Les conflits reviennent. Vincent est ingérable.
Paris ne veut pas de ses peintures.
L’impressionnisme est sur sa fin.
Van Gogh part pour le sud et s’installe à Arles. Loin du bruit.
Comprendre.
Aller chercher là où personne n’est allé.
Partir à Amsterdam.
Malmener la photocopieuse.
Récupérer des lettres que la belle-sœur de Van Gogh avait conservé.
Chercher encore.
Des romans il y en a eu tant, mais la vérité. Le véritable Vincent.
Sans fantasme, où est-il ?
L’écrivaine remonte alors à Stone, un auteur qui écrivit sur Vincent.
Elle suppute qu’il a dû rencontrer le Dr Rey à Arles…
Alors, le médecin de Van Gogh quand il était interné.
Si c’était vrai il doit sans doute en rester des traces.
Los Angeles, Amsterdam, Arles, tout retourner, ne rien laisser au hasard.
La plus petite des pistes peut mener à la plus grande découverte.
Van Gogh s’établit à Arles dans l’hôtel des Carrel.
Il peindra la boucherie juste en face. Il fait la connaissance du Mistral.
Les arlésiens le trouve étrange ce peintre.
Un nom imprononçable, des cheveux d’une couleur douteuse et cette taille si imposante.
Il signera donc « Vincent ».
Tous le nommeront : Monsieur Vincent.
Vincent aimait se dire que ses amis étaient atteints de troubles nerveux.
Se rassurer en normalisant une folie qu’il lui fallait dompter.
Chez les artistes. Chez les arlésiens.
Même Gauguin était « atteint de folie ».
Un transfert qui adoucira sa cruelle réalité.
Contrairement aux idées reçues, en 1888 Vincent n’est pas seul.
Entouré d’artistes tels que Boch, Macknight, Mourier-Petersen.
Une joyeuse communauté.
Mais les crises arrivent…
Jusque dans son écriture. Van Gogh mélange les formules, couds les mots entre eux maladroitement, entremêle la syntaxe.
Vincent aime Arles.
Mais il se plaint du régime alimentaire arlésien.
Une ville sale, soumise au choléra.
Les déchets dans la rue.
Le Rhône pollué.
Les sanitaires inexistants.
Vincent entre en contact avec Gauguin.
Malade, celui-ci est dans le besoin.
Vincent déploiera tous ses efforts et l’aidera.
Une idée. Le faire venir à Arles.
Monter un collectif d’artistes dans cette jolie Maison Jaune.
Il viendra.
Ils peindront ensemble. Gauguin apportera sa vision du « chic ».
Entendre : peindre d’après l’imagination et plus d’après un modèle.
Ils ne furent cependant jamais amis.
Vincent plonge dans des crises de plus en plus soutenues.
Gauguin en dira-t-il toute la vérité dans sa biographie trente ans plus tard ?
Les arlésiens ont-ils réellement voulu chasser l’Estranger ?
Gauguin était-il présent le fameux soir du drame ?
Vincent est emmené à l’hôpital d’Arles.
Le docteur Rey correspondra régulièrement avec Théo.
Vincent délire.
Il sera isolé. Dans un « cabanon ».
Attaché, immobilisé, dans une pièce humide et non chauffée en plein décembre 1888.
Vincent est traumatisé.
Ce ne sont pas ses troubles mentaux qui l’ont rendus Grand.
Sa peinture et son talent existaient bien avant.
Il s’est battu pour continuer à peindre, envahi par ses crises.
Tenter de trouver la paix.
Comme dans ce fabuleux tableau d’amandiers qu’il a peint pour son filleul.
J’y ai découvert un être terriblement altruiste.
Qui aimait les gens, ne voulait que leur bien et les aider autant qu’il le pouvait.
Son frère savait qu’il fallait qu’il peigne.
Qu’il aurait un grand destin.
Ne jamais cesser de protéger sa fragilité.
Certains êtres naissent tellement sensibles que la Terre leur semble comme inadaptée.
Ils se meuvent tels des éléments qui « pénètrent » mais jamais « ne font partie. »
Comme s’ils ne pouvaient appartenir à ce monde.
Ils sont venus. Simples témoins.
Laisser des portraits de ces personnes rencontrées.
J’ai eu mal qu’il puisse être enfermé.
Je l’ai imaginé, dans ses crises dont il se savait la victime, attaché, ficelé, muselé.
Dans une solitude que nous ne pouvons pas imaginer.
Dans la froideur du jour comme de la nuit.
Un être qui ne rêva que d’amour toute sa vie.
Et ne trouva que le tourment.
Chaque fois se sentant menacé il demandait à revenir à l’hospice.
Librement.
Il y a ces êtres qui ne connaîtront que la chute.
Chercher la respiration.
C’est ça qu’il peignait chaque fois.
Dans la frénésie de la conscience.
Du moment d’accalmie.
D’une paix qui se nourrissait de couleurs.
Ces couleurs qu’il a bu pour tenter d’en mourir.
Pour Van Gogh, mourir fut encore un acte d’amour.
Je vous laisse en découvrir tous les secrets.
Je vous laisse en découvrir les personnages, les acteurs.
Je vous laisse ouvrir doucement les yeux
Sur une histoire aussi bouleversante qu’inédite.
PS : Pour la photo de l’article j’ai eu besoin de retourner moi aussi sur les pas de Van Gogh. Après toute cette enquête je devais bien cela à son auteure. Je me suis alors rendue à l’hospice Saint Paul de Mausole à Saint-Rémy de Provence, lieu où il a était interné (par choix) de 1889 à 1890. Le lieu que vous voyez derrière le livre n’est autre que le cloître de cet hospice. Un lieu de paix, vieux de plus de 1000 ans…
• L’extrait :
« Son nom de famille, Van Gogh, était presque impossible à prononcer en français. Donc, peu de temps après s’être établi à Arles, il écrivit à son frère Théo : « Dans la suite il faudra insérer mon nom dans le catalogue tel que je le signe sur les toiles, c.à.d. Vincent et non pas Van Gogh pour l’excellente raison que ce dernier ne saurait se prononcer ici »(…) »
• Mon avis :
Je n’ai jamais croisé pareil ouvrage !
La passion dévorante de Bernadette Murphy entrelace la folie de Van Gogh.
Une écriture qui vous emporte. Une plume qui vous tenaille. Aucune lourdeur !
Quelle patience. Quelle dévotion pour rétablir des vérités, ou des passages de sa vie oubliés.
Comment a-t-elle fait pour ne jamais baisser les bras ?
Comment a-t-elle fait pour trouver la force de mener ces années de recherche jusqu’au bout ?
Son récit est captivant. Elle nous emmène avec elle, jour après jour. Ses petites trouvailles. Ses doutes. Ses questions. Ses déceptions.
Ne pensez pas que ce livre, au vu de sa taille et de son nom « Enquête » peut une minute rimer avec ennui. Il n’en est rien.
Je crois que nous sommes devant l’un des plus grands documents historiques retraçant la véritable vie de ce que fut celle de Vincent Van Gogh.
J’aimerais pouvoir la rencontrer et ainsi pouvoir vous la raconter (je vais essayer).
Elle, son histoire, ses obstinations de dame irlandaise.
• L’auteur :
Bernadette Murphy
*Historienne de l’art, Bernadette Murphy vit depuis une trentaine d’années dans le sud de la France. L’Oreille de Van Gogh, son premier livre, est en cours de publication dans une dizaine de pays.
*Source : Actes Sud
• Références :
- L’oreille de Van Gogh – Rapport d’enquête
- Auteur : Bernadette Murphy
- Maison d’édition : Actes Sud
- Publication : octobre 2017
J’adore Van Gogh! Et ton article m’a rapidement convaincu que je dois acheter ce livre! Très belle chronique 😉
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Oh merci ☺️ Je suis ravie de t’avoir convaincue. C’est un super bouquin, si tu aimes Van Gogh tu vas te régaler 🙂
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