Fugitive parce que Reine

• Le mood :

Ce n’est pas une simple histoire de plus entre une mère et sa fille. C’est tout simplement brillant. Déroutant. Poignant. Frappant. Violent. Aimant. Tendre. Caressant. Vénérant. Un hommage ultime à cette maman capable du plus bel amour, comme du pire.


• L’histoire :

J’ai bien peur que les mots me manquent cette fois.
Je suis renversée.
Là, sur le bas-côté.
Cette mère qui roulait trop vite, je l’ai prise de plein fouet.
Des échos, des fantômes. J’ai rarement été traversée à ce point par un livre.

Violaine Huisman signe son premier roman en nous offrant à lire son histoire.

Celle du lien et de l’amour inaliénable entre une mère et ses enfants. Mais surtout des enfants envers leur mère.

Une mère maniaco-dépressive qui manipule de sa beauté les hommes comme les femmes.
Une mère imprévisible et impétueuse.
L’auteur raconte pourquoi, comment.
Les mensonges des adultes. Les souvenirs qui rejaillissent.

Une mère à l’enfance terrible. Née d’un père maquereau et incestueux, qu’elle ne cessera pourtant d’aimer. D’une mère qui, jamais, ne saura l’aimer. Un enchaînement de mauvais choix, des hommes qui n’auront de cesse de la trahir, de la salir. Un amour passionné, violent, libéré et pourtant asphyxié. Asphyxiant.

Une maman trop occupée à tenter d’être aimée par son Roi. Trop malheureuse pour panser les bobos de ses deux filles. Des filles qui deviennent elles-mêmes le pansement. Car il faut protéger maman. Ne jamais en être séparées.

Une maman qui dansait telle une étoile, telle une Reine. Une maman que l’on vénérait malgré la violence. Malgré les crises. Malgré les coups.

L’auteur crie son amour mais aussi sa rage de ces adultes égoïstes qui jamais n’ont pris leur responsabilité. Jamais n’ont tenté de les protéger des images de la folie.
Celle qui a un nom. La maniaco-dépression.
Seules.

S’inventer des rituels de peur que les lumières ne s’éteignent. Une maman. Présence que l’on étreint, que l’on vénère plus que tout.

Une sœur aînée qui prend les coups pour sa cadette.
S’aimer autant que l’on se déteste.

« Je suis mère mais je suis aussi une femme. »

La culpabilité d’enfants qui ne peuvent pas comprendre et qui pourtant perçoivent tout. Leur égoïsme. La douleur. La détresse mais aussi l’injustice, l’anormal.

Dans la chambre du bel appartement de cette maman, des femmes et des hommes défilent. Elles ne veulent pas savoir ce qu’elles savent déjà.

Une maman fugitive. Une maman en éclats. Une maman que l’on surveille pour qu’elle ne s’enfuit pas.
Et cette douleur de vivre. Cette angoisse. L’âme abîmée. Flagellée.

Cette maman à qui les hommes appartiennent. La toute puissante, le règne suprême.

« Toute femme sent que, plus son pouvoir sur un homme est grand, le seul moyen de s’en aller, c’est de fuir… »

Cette maman qui venait d’un milieu modeste. Celle qui n’avait pas fait d’études et s’extasiait devant l’immense bibliothèque de son ex-mari.
Celle pour qui les noms des plus illustres philosophes français restaient obscurs.

« Elle étudie les rayonnages de sa bibliothèque avec l’attention scrupuleuse d’une femme jalouse qui fait les poches de son mari. »

Cette éternelle amoureuse dont l’histoire terrible se murmure.

« Elle est subjuguée. Elle n’est pas amoureuse, c’est autre chose : elle est prise de court, elle a le souffle coupé. Dépossédée ou déjà possédée, sa main sur la sienne lui a fait l’effet d’une coupe au-dessous de laquelle elle s’est sentie se recroqueviller. »

Un père, une mère, un amour en foutoir. Un amour fou. Sans le vouloir.
Des rigolades, des soirées, de l’alcool, des infidélités tolérées, une autre femme sous leur toit.

« Elle est sur un nuage. Jamais personne ne lui a tant fait tourner la tête. Antoine lui dit cent fois par jour qu’elle est la plus belle femme du monde, qu’il l’aime plus que tout, il ne l’appelle Catherine qu’en public ou parlant d’elle à la troisième personne : il l’appelle mon amour que j’aime, ma chérie adorée, mon ange exquis, mon trésor. Paul ne lui a jamais dit qu’il l’aimait que si elle le lui demandait. »

C’est l’histoire d’une femme, d’une mère qui perd peu à peu les pédales.

« Mais ce n’est pas une ombre au tableau, c’est une bombe qui fait exploser le mur entier. Elle n’a pas quitté l’homme qu’elle aime, celui qu’elle aime de toute son âme, pour se retrouver avec un pauvre type qui la prend encore pour une conne. »

Une mère héroïne, partagée toujours entre la maternité et la putain. Son sexe tant de fois bafoué et désiré.

Chercher des réponses, des indices au milieu des notes, des dessins, des carnets.
Savoir un peu plus qui était cette maman. Comprendre. Puis l’écrire.


• L’extrait :

« Catherine vrille. Médée n’est pas folle, elle est bafouée, humiliée, trahie. Elle, une reine, on la traine dans la boue. Médée n’est pas folle, elle se venge en prenant en otage ce qu’elle a de plus cher. »


• Mon avis :

C’est un immense coup de cœur pour moi.

Un tsunami d’émotions.
Des vagues de mots que j’ai relus plusieurs fois.

Une construction percutante.
Violaine Huisman ne commence pas par le début, ni par la fin. Mais par le milieu de son histoire. Et nous la suivons, pour ne plus la laisser.
Son récit intime, comme un secret révélé entre deux portes.
L’auteur construit et déconstruit les espaces dans lesquelles elle nous invitent. Nous sommes témoins de tout. L’édifice. Les rêves. L’effondrement.

Ce style si plein de fulgurances et de poésie qui émane de son cœur de femme.
Et ses écarts, qui trahissent la voix de la petite fille qui prend le dessus sur le texte et ses souvenirs.

Une langue érudite parfois, grossière d’autres fois, émouvante et poétique souvent.
Sublime.


• L’auteur :

Violaine Huisman

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* Née en 1979, Violaine Huisman vit depuis vingt ans à New-York où elle a débuté dans l’édition et organise actuellement des événements littéraires, notamment pour la Brooklyn Academy of Music. Elle est l’auteure de plusieurs traductions de l’américain dont Un crime parfait de David Grann (Allia, 2009) et La Haine de la poésie de Ben Lerner (Allia, 2017).

 

*Source : Livrehebdo.fr


• Références :

  • Fugitive parce que Reine
  • Auteurs : Violaine Huisman
  • Maison d’édition : Gallimard
  • Publication : décembre 2017

8 commentaires sur “Fugitive parce que Reine

    1. Je ne suis pas non plus pour lire les livres que tout le monde DOIT lire absolument. C’est en plus souvent source de déception quand on en a une trop grande attente. Mais celui-ci, oui, ne passe vraiment pas à côté ☺️ Cours ! 🤗

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