Petit pays

• Le mood :

Un voyage au fond du cœur d’un enfant. Un Burgundi comme il n’a jamais été raconté avant. C’est un livre solaire malgré l’horreur qu’il décrit. C’est un livre du souvenir, il mérite d’être lu et raconté pour ne jamais oublier.


• L’histoire :

Hutu, Tutsi…la raison de ces différences et de ce génocide vient-elle vraiment de la taille de leur nez comme l’a cru Gabriel ?
C’est à travers le regard d’un enfant, que nous re-découvrons l’Histoire du génocide Rwandais venu également frapper le Burgundi, pays voisin.

Gabriel habite au Burgundi, il nous fait revivre avec lui le monde de son enfance. Son insouciance, ses jeux, son innocence mais aussi ses injustices et ses souffrances.
Il nous raconte ses escapades joyeuses avec ses amis de l’impasse : Gino, son frère de cœur, Armand, les jumeaux puis Francis ennemi juré du quartier contre qui toute la petite bande défend son territoire. Des guerres d’enfants, là où se réveille tout près d’eux une guerre d’adultes qui n’allait pas tarder à les toucher, chacun, pour changer à jamais leurs vies.

« On passait notre temps à se disputer, avec les copains, mais y a pas à dire, on s’aimait comme des frères. Les après-midi, après le déjeuner, on filait tous les cinq vers notre quartier général, l’épave abandonnée d’un Combi Volkswagen au milieu du terrain vague. Dans la voiture on discutait, on rigolait, on fumait des Supermatch en cachette, on écoutait les histoires incroyables de Gino, les blagues des jumeaux, et Armand nous révélait des trucs incroyables qu’il était capable de faire (…). »

Fils d’une mère née au Rwanda, en exil pour fuir les massacres et d’un père français amoureux du Burgundi. Il a également une petite sœur, Ana, petite fille modèle, sage et studieuse.

Gabriel ne parle pas la langue du pays de sa mère, il ne comprend pas sa tristesse quand elle lui raconte ses souvenirs. C’est un enfant et ça l’ennuie… Son père refuse de lui faire part des conflits politiques, quand on est un enfant on ne parle pas politique ! Gabriel grandit avec innocence au milieu de ces deux mondes séparés qui ne tarderaient pas à se rejoindre.

« Au temps du bonheur, si on me demandait « Comment ça va ? », je répondais toujours « Ça va. ». Du tac au tac. »

On le suit alors dans ses bêtises avec sa petite bande, piquant des mangues dans les maisons voisines, fuyant les cœurs haletants. On savoure avec lui ces jours sucrés, la chaleur du soleil d’Afrique qui se propage à travers les pages.

« Rien n’est plus doux que ce moment où le soleil décline derrière la crête des montagnes. Le crépuscule apporte la fraîcheur du soir et des lumières chaudes qui évoluent à chaque minute. À cette heure-ci le rythme change. Les gens rentrent tranquillement du travail, les gardiens de nuit prennent leur service, les voisins s’installent devant leur portail. C’est le silence avant l’arrivée des crapauds et des criquets. Souvent le moment idéal pour une partie de football, pour s’asseoir avec un ami sur le muret au-dessus du caniveau (…). »

Le récit oscille entre douceur et violence. Filtrent alors les propos racistes des blancs colonialistes, s’installent les rancœurs entre les « boys » Tutsi et Hutu de la maison de Gabriel. Le récit bascule d’un seul coup. Son oncle Pacifique veut rejoindre le FPR pour défendre les siens contre les attaques Hutus. Il s’engage pour le Rwanda. Rien n’est plus sûr même dans leur petit havre de paix…

La pluie et l’orage arrivent pour recouvrir la fête et la « musique qui accouple les cœurs »
Des interludes de rires et de joie au milieu des massacres. Des bêtises d’enfants qui ne souhaitent que s’amuser malgré l’horreur qui sévit juste à côté. Ce que ce livre nous dit, c’est que jamais la vie ne s’arrête. Malgré leur Terre linceul.

Mais le mal est fait. Quand le réel entrave les rêves de l’enfance. Quand jusqu’à l’odeur de la mort devient une tâche de sang qui a volé l’esprit de sa mère. Comment guérir ? En écrivant.


• L’extrait :

« Impossible. Le quartier est encerclé. Je ne peux pas prendre le risque de sortir avec les enfants. J’ai pris ma décision. Je vais prier pour eux, puis je vais les cacher dans le faux plafond, ensuite j’irai chercher de l’aide. Mais je préfère te dire adieu maintenant. C’est mieux comme ça. Nous avons peu de chances de nous en sortir, cette fois-ci. Ils nous haïssent trop. Ils veulent en finir une bonne fois pour toutes. Cela fait trente ans qu’ils parlent de nous supprimer. C’est l’heure pour eux de mettre leur projet à exécution. Il n’y a plus de pitié dans leurs cœurs. Nous sommes déjà sous terre. Nous serons les derniers Tutsi. Après nous, je vous en supplie, inventez un nouveau pays. Je dois te laisser. Adieu ma sœur, adieu… Vivez pour nous…j’emporte avec moi ton amour… »


• Mon avis :

Je n’ai pas pu écrire tout de suite la chronique. Le ventre retourné, le cœur serré. J’avais besoin de respirer un peu. De laisser passer les images, ne plus les retenir. J’aurais aimé pouvoir en parler juste après avoir refermé mon livre. Exorciser les cadavres que j’y ai laissé.

Les souvenirs des images de ce massacre ne manquent pas, je me souviens encore des corps et des charniers que les journalistes ramenaient avec eux pour les montrer au monde.

Le texte de Gaël Faye est d’une poésie terrible. On y entend la musique qui l’habite, qui l’a sans doute fait écrire un jour pour guérir. L’auteur nous emporte avec lui et nous laisse le même vide que celui qu’il ressent. Celui de la perte, celui du vol de son enfance. Le sentiment de quelque chose de précieux à jamais perdu.

La plume de l’écrivain est puissante, en tournant les pages je voyais ses Bougainvilliers, je sentais la citronnelle, j’entendais les oiseaux, la chaleur sur la peau. J’ai voyagé à travers les rires des enfants, j’ai eu peur avec eux lorsqu’ils devaient passer les barrages ou s’éloignaient trop de leur maison. Ce livre est un poing dans le visage malgré la douceur et le sucre de certains passages.
Je ne pense pas que l’on en sorte indemne.

J’ai d’autant plus apprécié l’avoir refermé que l’on m’a fait découvrir la chanson Petit Pays de Gaël Faye où j’ai pu revoir les paysages, les sourires, … Merci à Cédric pour avoir prolongé mon voyage encore un peu.

Vous l’aurez compris j’ai beaucoup aimé ce livre et je le recommande à tous. Par devoir de mémoire mais aussi pour l’amour des mots, de la poésie.


• L’auteur :

Gaël Faye.

Gael faye.jpg

*Gaël Faye est né en 1982 au Burundi d’une mère rwandaise et d’un père français.

En 1995, après le déclenchement de la guerre civile et le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, il arrive en France.

Il passe son adolescence dans les Yvelines et découvre le rap.

Gaël Faye étudie dans une école de commerce, obtient un master de finance et travaille à Londres durant deux ans pour un fonds d’investissement. Il quitte la cité de Londres pour se lancer dans l’écriture et la musique.

Franco-rwandais, Gaël Faye est auteur compositeur interprète de rap. Aussi influencé par les littératures créoles que par la culture hip hop, il sort un album en 2010 avec le groupe Milk Coffee & Sugar (révélation Printemps de Bourges).

En 2013 paraît son premier album solo, « Pili Pili sur un croissant au beurre ». Enregistré entre Bujumbura et Paris, il se nourrit d’influences musicales plurielles : du rap teinté de soul et de jazz, du semba, de la rumba congolaise, du sébène…

En 2016, il sort son premier roman, « Petit pays », qui obtient de nombreux prix, notamment le prix du roman Fnac, le prix Audiolib et le Goncourt des lycéens.

*Source : Babelio

 

4 commentaires sur “Petit pays

Laisser un commentaire